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gauche dans une direction opposée à notre bivac, j’aperçus, presque à la lisière du bois, un feu contre lequel un homme était assis. Je m’arrêtai afin de l’observer, et je distinguai qu’il avait, devant lui et sur son feu, une marmite dans laquelle il faisait cuire quelque chose, car, ayant pris un couteau, il le plongea dedans, et, à ma grande surprise, je vis qu’il en retirait une pomme de terre qu’il pressa un peu et qu’il remit aussitôt, probablement parce qu’elle n’était pas cuite.

J’allais m’élancer et courir dessus, mais, dans la crainte qu’il ne m’échappât, je rentrai dans le bois, et, faisant un petit circuit, j’arrivai à quelques pas derrière l’individu, sans qu’il m’ait aperçu. Mais, en cet endroit, comme il y avait beaucoup de broussailles, je fis du bruit en avançant. Il se retourna, mais j’étais déjà à côté de la marmite et, sans lui donner le temps de me parler, je lui adressai la parole : « Camarade, vous avez des pommes de terre, vous allez m’en vendre ou m’en donner, ou j’enlève la marmite ! » Un peu surpris de cette résolution, et comme je m’approchais avec mon sabre pour pêcher dedans, il me dit que cela ne lui appartenait pas, et que c’était à un général polonais qui bivaquait pas loin de la et dont il était le domestique ; qu’il lui avait ordonné de se cacher où il était pour les faire cuire, afin d’en avoir pour le lendemain.

Comme, sans lui répondre, je me mettais en devoir d’en prendre, non sans lui présenter de l’argent, il me dit qu’elles n’étaient pas encore cuites, et, comme je n’avais pas l’air d’y croire, il en tira une qu’il me présenta pour me la faire palper ; je la lui arrachai et, telle qu’elle était, je la dévorai : « Vous voyez, me dit-il, qu’elles ne sont pas mangeables ; cachez-vous un instant, ayez de la patience, tâchez surtout que l’on ne vous voie pas jusqu’au moment où elles seront bonnes à manger ; alors je vous en donnerai. »

Je fis ce qu’il me dit ; je me cachai derrière un petit buisson, mais si près de lui que je ne pouvais le perdre de vue. Au bout de cinq à six minutes, je ne sais s’il me croyait bien loin, il se leva et, regardant à droite et à gauche, il prend la marmite et se sauve avec, mais pas loin, car je l’arrêtai de suite en le menaçant de tout prendre s’il ne voulait pas m’en donner la moitié. Il me répondit encore