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chement, d’escorter sept à huit cents prisonniers russes qui, n’ayant rien pour se nourrir, étaient réduits à se manger l’un l’autre, c’est-à-dire que, lorsqu’il y en avait un de mort, ils le coupaient par morceaux et se le partageaient pour le manger ensuite. Pour preuve de ce qu’il me disait, il s’offrit de me le faire voir ; je refusai. Cette scène se passait à cent pas de l’endroit où nous étions ; nous sûmes, quelques jours après, que l’on avait été obligé d’abandonner le reste, ne pouvant les nourrir.

Le sergent des chasseurs, dont je viens de parler, finit par tout perdre avec sa cantinière, à Wilna ; ils furent tous deux prisonniers.

Le 1er novembre, nous avions, comme la nuit précédente, couché près d’un bois, sur le bord de la route : depuis plusieurs jours, nous avions déjà commencé à vivre de viande de cheval. Le peu de vivres que nous avions pu emporter de Moscou était consommé, et nos misères commençaient avec le froid qui, déjà, se faisait sentir avec force. Pour mon compte, j’avais encore un peu de riz que je conservais pour les derniers moments, car je prévoyais, pour la suite, des misères plus grandes encore.

Ce jour-là, je faisais encore partie de l’arrière-garde, qui était composée de sous-officiers, à cause que déjà beaucoup de soldats restaient en arrière pour se reposer et se chauffer à des feux que ceux qui étaient devant nous avaient abandonnés en partant. En marchant, j’aperçus, sur ma droite, plusieurs hommes de différents régiments, dont quelques-uns étaient de la Garde, autour d’un grand feu. Je fus envoyé par l’adjudant-major, afin de les engager à suivre ; étant près d’eux, je reconnus Flament, dragon vélite. Je le trouvai faisant cuire un morceau de cheval au bout de son sabre, dont il m’invita de prendre part ; je l’engageai à suivre la colonne ; il me répondit qu’aussitôt qu’il aurait fait son repas, il se remettrait en route, mais qu’il était malheureux, puisqu’il était forcé de faire la route à pied, avec ses bottes à l’écuyère, à cause que, le jour avant, dans un combat contre les Cosaques, où il en avait tué trois, son cheval avait attrapé un écart, de sorte qu’il était obligé de le conduire par la bride. Heureusement que l’homme qui me suivait, dans ce moment, était mon homme de con-