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et de sa lance, le prit pour un Cosaque, courut dessus et lui passa son sabre au travers du corps[1].

Le malheureux grenadier, désespéré en voyant sa méprise, veut se faire tuer ; il s’élance au milieu de l’ennemi, frappant à droite et à gauche ; tout fuit devant lui. Après en avoir tué plusieurs, n’ayant pu se faire tuer, il revint seul et couvert de sang demander des nouvelles de l’officier qu’il avait si malheureusement blessé. Celui-ci guérit et revint en France sur un traîneau.

Je me rappelle qu’un instant après cette échauffourée, l’Empereur, étant à causer avec le roi Murat, riait de ce qu’il avait failli être pris, car il s’en est fallu de bien peu. Le grenadier-vélite Monfort, de Valenciennes, avait encore eu l’occasion de se distinguer, en tuant et en mettant hors de combat plusieurs Cosaques.

Nous restâmes encore quelque temps dans cette position, et nous nous mîmes en marche, laissant Kalouga sur notre gauche. Nous traversâmes, sur un mauvais pont, une rivière fangeuse et fort escarpée, et prîmes la direction de Mojaïsk.

Le 26, nous fîmes encore une petite étape, et, le 27, après avoir marché sans interruption jusqu’au soir, nous allâmes coucher près de Mojaïsk ; cette nuit, il commença à geler.

Le 28, nous partîmes de grand matin et, dans la journée, après avoir traversé une petite rivière, nous nous trouvâmes sur l’emplacement du fameux champ de bataille encore tout couvert de morts et de débris de toute espèce. On voyait sortir de terre des jambes, des bras, et des têtes ; presque tous ces cadavres étaient des Russes, car les nôtres, autant que possible, nous leur avions donné la sépulture. Mais, comme tout cela avait été fait à la hâte, les pluies qui étaient survenues depuis, en avaient mis une partie à découvert. Rien de plus triste à voir que tous ces morts qui, à peine, conservaient une forme humaine ; il y avait cinquante-deux jours que la bataille avait eu lieu.

Nous allâmes établir notre bivac un peu plus avant, et nous passâmes près de la grande redoute où le général Caulaincourt avait été tué et enterré. Lorsque nous fûmes arrêtés, nous nous occupâmes de nous abriter, afin de

  1. Cet officier se nommait M. Leaulteur. (Note de l’auteur.)