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En rentrant dans notre logement, j’aperçus nos tailleurs, les deux hommes que j’avais sauvés, déjà en train de travailler ; ils faisaient des grands collets avec les draps des billards qui étaient dans la grande salle du café où était logée la compagnie, et que l’on avait démontés pour avoir plus de place. J’entrai dans la chambre où étaient enfermées nos femmes ; elles étaient occupées à faire la lessive, et elles s’en tiraient passablement mal. Cela n’est pas étonnant, elles avaient sur elles des robes en soie d’une baronne ! Mais il fallait prendre patience, faute de mieux. Le reste de la journée fut consacré à organiser notre local et à faire des provisions, comme si nous devions rester longtemps dans cette ville. Nous avions en magasin, pour passer l’hiver, sept grandes caisses de vin de Champagne mousseux, beaucoup de vin d’Espagne, du porto ; nous étions possesseurs de cinq cents bouteilles de rhum de la Jamaïque, et nous avions à notre disposition plus de cent gros pains de sucre, et tout cela pour six sous-officiers, deux femmes et un cuisinier.

La viande était rare ; ce soir-là, nous eûmes une vache ; je ne sais d’où elle venait, probablement d’un endroit où il n’était pas permis de la prendre, car nous la tuâmes pendant la nuit, pour ne pas être vus.

Nous avions aussi beaucoup de jambons, car l’on en avait trouvé un grand magasin ; ajoutez à cela du poisson salé en quantité, quelques sacs de farine, deux grands tonneaux remplis de suif que nous avions pris pour du beurre ; la bière ne manquait pas ; enfin, voilà quelles étaient nos provisions, pour le moment, si toutefois nous venions à passer l’hiver à Moscou.

Le soir, nous eûmes l’ordre de faire un contre-appel ; il fut fait à dix heures ; il manquait dix-huit hommes. Le reste de la compagnie dormait tranquillement dans la salle des billards ; ils étaient couchés sur des riches fourrures de martes-zibelines, des peaux de lions, de renards, et d’ours ; une partie avait la tête enveloppée de riches cachemires et formant un grand turban, de sorte que, dans cette situation, ils ressemblaient à des sultans plutôt qu’à des grenadiers de la Garde : il ne leur manquait plus que des houris.