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çai, j’examinai, en ôtant avec mon pied tout ce qui pouvait m’empêcher de reconnaître la chose ; je vis que c’était un cadavre. Mais impossible de pouvoir discerner si c’était un homme ou une femme : d’abord je n’en eus pas le temps, car l’individu, que la chose intéressait et qui était à côté de moi comme un stupide, jeta un cri effroyable et tomba sur le pavé. Aidé par un soldat qui était près de moi, nous le relevâmes. Revenu un peu à lui-même, il parcourut, en se livrant au désespoir, le terrain de la maison et, par un dernier cri, il nomma son fils et se précipita dans la cave où je l’entendis tomber comme une masse.

L’envie de le suivre ne me prit pas : je m’empressai de rejoindre le détachement, en faisant de tristes réflexions sur ce que je venais de voir. Un de mes amis me demanda ce que j’avais fait de l’homme qui parlait français ; je lui contai la scène tragique que je venais de voir, et, comme l’on était toujours arrêté, je lui proposai de venir voir l’endroit. Nous allâmes jusqu’à la porte de la cave ; là, nous entendîmes des gémissements ; mon camarade me proposa d’y descendre afin de le secourir, mais, comme je savais qu’en le tirant de cet endroit, c’était le conduire à une mort certaine, puisqu’ils devaient tous être fusillés en arrivant, je lui observai que c’était commettre une grande imprudence que de s’engager dans un lieu sombre et sans lumière.

Fort heureusement, le cri : « Aux armes ! » se fit entendre ; c’était pour se remettre en marche, mais, comme il fallait encore quelque temps avant que la gauche fît son mouvement, nous restâmes encore un moment au même endroit, et, comme nous allions nous retirer, nous entendîmes quelqu’un marcher ; je me retournai. Jugez quelle fut ma surprise envoyant paraître ce malheureux, ayant l’air d’un spectre, portant dans ses bras des fourrures avec lesquelles, disait-il, il voulait ensevelir son fils et sa femme, car, pour son fils, il l’avait trouvé mort dans la cave, sans être brûlé. Le cadavre qui était à la porte était bien celui de sa femme ; je lui conseillai de rentrer dans la cave, de s’y cacher jusqu’après notre départ et qu’il pourrait ensuite remplir son pénible devoir ; je ne sais s’il comprit, mais nous partîmes.

Nous arrivâmes près du Kremlin à cinq heures du matin ; nous mîmes nos prisonniers dans un lieu de sûreté, mais