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linge trempé dans l’eau chaude ; cela fit fondre les glaçons qu’il avait à sa barbe et à ses moustaches.

« À présent, dit Picart, nous allons causer ! Vous souvenez-vous, lorsque nous nous embarquâmes à Toulon pour l’expédition d’Égypte ?… »

Dans le moment, Grangier qui était sorti afin de voir si l’on recommençait à marcher, rentra pour nous dire qu’une voiture arrêtée devant la porte et chargée de gros bagages appartenant au roi Murat, était une occasion pour le père Elliot, qu’il fallait de suite le faire monter : « En avant ! » s’écrie Picart, et aussitôt, avec le secours du vieux marin, nous perchâmes le vieux sergent sur la voiture ; Picart lui mit l’autre bouteille de vin entre les jambes et son manteau blanc sur le dos, afin qu’il n’eût pas froid.

Un instant après, on recommença à marcher, et une demi-heure après, nous étions hors d’Elbing. Le même jour, nous passâmes la Vistule sur la glace, et nous marchâmes sans accident jusqu’à quatre heures, pour nous arrêter dans un grand bourg où le maréchal Mortier, qui nous commandait, décida que nous logerions.


Ce n’est pas par vanité et pour faire parler de moi, que j’ai écrit mes mémoires. J’ai seulement voulu rappeler le souvenir de cette gigantesque campagne qui nous fut si funeste, et des soldats, mes concitoyens, qui l’ont faite avec moi. Leurs rangs, hélas ! s’éclaircissent tous les jours. Les faits que j’ai racontés paraîtront incroyables et parfois invraisemblables. Mais qu’on ne s’imagine pas que j’ajoute quelque chose qui ne soit vrai et que je veuille embellir mon récit pour le rendre intéressant. Au contraire, je prie de croire que je ne dis pas tout. Cela me serait impossible, car j’ai peine à y croire moi-même, et cependant tout cela a été mis en note pendant que j’ai été prisonnier en 1813 et à mon retour de cette captivité, en 1814, sous le coup de l’impression et de l’effet que produisent, dans le cœur, la vue et la participation de pareils désastres.