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parlait français, s’avança, expliqua au commissaire comment la chose s’était passée. Alors on dit à Picart qu’il pouvait lâcher l’homme qu’il tenait sous son pied, qu’on allait lui rendre justice. Il dit à celui qu’il tenait sous son pied : « Lève-toi ! » Celui-ci ne se le fit pas dire une seconde fois.

Lorsqu’il fut debout, Picart lui allongea un grand coup de pied dans le derrière, en lui disant : « Voilà ma justice, à moi ! » L’homme se retira en portant la main à la place où il avait reçu le coup, aux huées de toutes les femmes présentes.

Pendant ce temps, le commissaire faisait payer une amende de vingt-cinq francs aux individus qui avaient insulté Picart, ainsi qu’à celui qui avait reçu le coup de pied. Il en mit la moitié dans sa poche, « pour le Roi, disait-il, et pour les frais de justice ». L’autre moitié, il la présenta à Picart qui d’abord refusa, mais faisant réflexion, il en donna la moitié aux invalides et l’autre au ministre protestant en lui disant : « Si vous rencontrez la femme d’un vieux soldat, vous lui remettrez cela de ma part ! » On se fit expliquer ce que Picart venait de faire, car on ne pouvait comprendre autant de désintéressement de la part d’un soldat ; aussi c’est à qui lui aurait dit des choses flatteuses, même le commissaire de police qui vint lui baragouiner un compliment. Nous continuâmes à marcher dans la direction du palais, Grangier et moi, en faisant des réflexions sur le caractère des Prussiens, et Picart en chantant son refrain :

Ah ! tu t’en souviendras, larira,
Du départ de Boulogne !

Nous arrivâmes sur la place ; nous vîmes, en face du palais où était logé le roi Murat, un régiment de nègres appartenant au roi : c’était vraiment drôle à voir, des hommes noirs sur une place couverte de neige ; ils étaient en colonne serrée par division, les sapeurs avaient des bonnets de peau d’ours blancs, et les officiers qui les commandaient étaient noirs comme eux. Je n’ai pu savoir quelle route ce corps avait pris pour se retirer, mais je pense qu’il alla passer la Vistule à Marienwerder.

Le bruit du canon avait presque cessé. Les Russes venaient d’être chassés des environs de la ville par un