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avait répondu qu’il y en avait un et, lui ayant montré la chambre où j’étais, il en était sorti en disant que ce n’était pas celui qu’il cherchait.

Au moment où Mme  Gentil me contait cela, mon ami Grangier entra, et il allait se retirer en disant : « Je vous demande pardon ; depuis hier, je cherche un de mes camarades et ne puis le trouver. Cependant c’est bien ici la rue et le numéro de la maison, porté sur le billet ! — Ah ça ! lui dis-je, ce n’est pas moi que tu cherches ? » Grangier partit d’un grand éclat de rire. Il ne m’avait pas reconnu ; cela n’était pas étonnant, je n’avais plus de queue, j’avais la figure enflée, j’étais blanc comme un cygne par suite du bain que j’avais pris, ou plutôt par la manière dont la domestique m’avait étrillé à tours de bras, avec son morceau de flanelle ! J’avais du linge blanc et fin, la tête bien peignée, les cheveux frisés. C’est alors qu’il me conta que, la veille, il était venu pour me voir, mais qu’en voyant un pantalon rouge sur une chaise, il s’était retiré, persuade qu’il s’était trompé.

Il m’annonça qu’il venait d’être prévenu qu’à trois heures il y avait réunion des débris de tous les corps de la Garde, et qu’il fallait que tout le monde fît son possible pour y venir, et qu’il viendrait me chercher. À deux heures, comme il me l’avait promis, il vint me prendre accompagne de mes autres camarades qui, en me voyant, se mirent tellement à rire que leurs lèvres, crevassées par suite de la gelée, en saignèrent.

Je les surpris agréablement en leur présentant du vieux vin du Rhin et des petits gâteaux que Mme  Gentil avait eu la bonté de me procurer, car elle était prévoyante et allait au-devant de tout ce qui pouvait me faire plaisir. Ce fut dans ce moment que je demandai où était son mari, ajoutant que, puisqu’il était Français, j’aurais du plaisir à le voir, afin de prendre un peu de vin avec lui. Elle me répondit que, depuis quelques jours, il était absent ; qu’il était parti avec son père à elle, sur les bords de la mer Baltique, où ils faisaient ensemble le commerce de fruits qu’ils expédiaient à Saint-Pétersbourg[1].

C’était le 24 décembre : un peu avant trois heures, nous

  1. Ces fruits étaient expédiés de Tournai, en Belgique. (Note de l’auteur.)