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contenir tous, que deux iraient à pied, chacun son tour.

De cette manière, nous devions tâcher d’atteindre un village où nous trouverions peut-être des habitants plus hospitaliers. À une portée de fusil, nous aperçûmes une maison un peu écartée de la route. Nous prîmes aussitôt le parti de nous y loger de force, si l’on ne voulait pas nous y recevoir de bonne volonté. Le paysan nous dit qu’il nous logerait avec plaisir, mais que s’il était connu, par ceux du village, pour nous avoir donné à coucher, il aurait la schlague ; que si, cependant, on ne nous avait pas vus entrer, il risquerait de nous loger. Nous l’assurâmes que personne ne nous avait aperçus, qu’il pouvait nous recevoir sans crainte et qu’avant de partir, nous lui donnerions deux thalers. Il parut très content et sa femme encore davantage, et nous nous installâmes autour du poêle.

Pendant que l’homme était sorti pour mettre notre cheval à l’écurie, la femme, s’approchant de nous, nous dit tout bas, et en regardant si son mari ne venait pas, que les paysans étaient méchants pour les Français, parce que, lorsque l’armée avait passé, au mois de mai, des chasseurs à cheval de la Garde avaient logé quinze jours dans le village, et qu’il y en avait un, chez le bourgmestre, si joli, si jeune, que toutes les femmes et les filles venaient sur leur porte pour le voir ; c’était un fourrier. Un jour, il arriva que le bourgmestre le surprit qui embrassait madame, de sorte que le bourgmestre battit madame. Le fourrier, à son tour, battit le bourgmestre, de sorte que madame est grosse, et que l’on dit que c’est du fourrier. Nous étions à écouter et à sourire de la manière dont la femme nous contait cela.

« Ce n’est pas tout, continua-t-elle ; il y a encore trois autres femmes, dans le village, qui sont comme la femme du bourgmestre, et c’est pour cela qu’ils sont méchants pour les Français, de si jolis garçons ! » À peine avait-elle dit le mot, que le vélite chasseur se lève, lui saute au cou et l’embrasse : « Prenez garde, voilà mon mari ! » Effectivement il entra en nous disant qu’il avait donné à manger au cheval et que, dans un moment, il lui donnerait à boire, mais que si nous voulions lui faire plaisir, nous partirions avant le jour, afin que l’on ne pût voir qu’il nous avait