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dit que, dans la première rue à gauche, il y avait peu de monde. Nous y fûmes, mais toujours des sentinelles à toutes les portes et partout la même réponse. Effectivement je voyais, dans les maisons, les hommes entassés les uns sur les autres. Cependant nous ne pouvions rester plus longtemps dans la rue sans nous exposer à mourir de froid.

Il me serait difficile d’exprimer combien, ce jour-là, j’ai souffert du froid et davantage encore de chagrin, en me voyant repoussé partout où je me présentais, et cela par des camarades.

Enfin, je m’adresse à un grenadier qui me dit que, partout il y a du monde, mais aussi de la mauvaise volonté, de l’égoïsme, et qu’il ne faut pas faire attention aux maisons où il y a des sentinelles ; qu’il faut y entrer, « car je vois, continua-t-il, que vous êtes dans une triste position ! »

Faisant signe à mon camarade de me suivre, je me dirige vers la première maison qui se présente pour y entrer : un vieux grognard barre le passage avec son fusil en me disant que c’est le logement du colonel, et qu’il n’y a plus de place. Je lui réponds que, quand bien même ce serait le logement de l’Empereur, il m’en fallait deux, et que j’entrerais. Dans ce moment, j’aperçus un autre grenadier occupé à attacher sur sa capote une paire d’épaulettes d’officier supérieur. À ma grande surprise, je reconnais Picart, mon vieux compagnon, que je n’avais pas vu depuis Wilna, depuis le 9 décembre ! Aussitôt, je dis au grenadier : « Dites au colonel Picart que le sergent Bourgogne lui demande une place. — Vous vous trompez », me répond-il. Mais, sans l’écouter, je force la consigne, le soldat du train me suit et nous entrons.

À peine Picart m’a-t-il reconnu qu’il jette ses grosses épaulettes sur la paille en s’écriant : « Jour de Dieu ! C’est mon pays, c’est mon sergent ! Comment se fait-il, mon pays, que vous arrivez seulement ? Vous avez donc encore fait l’arrière-garde ? » Sans lui répondre, je m’étais laissé tomber sur la paille, épuisé de fatigue, de sommeil et d’inanition, et aussi suffoqué par la chaleur d’un grand poêle. Picart courut à son sac, en tira une bouteille où il y avait de l’eau-de-vie, et me força d’en prendre quelques gouttes qui me ranimèrent un peu. Ensuite, je le priai de me laisser reposer.