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n’y avait plus ni devant, ni derrière. Enfin, me voilà nu, n’ayant plus que mes mauvaises bottes aux jambes, au milieu d’une forêt sauvage, le 15 décembre, à quatre heures de l’après-midi, par un froid de dix-huit à vingt degrés, car le vent du nord avait recommencé à souffler avec force.

En regardant mon corps maigre, sale et mangé par la vermine, je ne puis retenir mes larmes. Enfin, réunissant le peu de forces qui me restent, je me dispose à faire ma toilette : je ramasse les lambeaux de ma vieille chemise et, avec de la neige, je me nettoie le mieux possible. Ensuite, je passe ma nouvelle chemise en fine toile de Hollande et brodée sur le devant. Mon pantalon n’étant plus mettable, j’enfourche au plus vite la petite culotte, mais elle se trouvait tellement courte que mes genoux n’étaient pas couverts, et, avec mes bottes qui ne m’allaient que jusqu’à mi-jambe, j’avais toute cette partie à nu. Enfin, je passe au plus vite mon gilet de soie jaune, ma capote, mon amazone, mon fourniment et mon collet par-dessus, et me voilà complètement habillé, sauf mes jambes.

Ensuite, je fis réflexion qu’il fallait décamper au plus vite, de sorte que je descendis de mon arbre. Lorsque j’eus fait environ deux cents pas, j’aperçus deux individus, un homme et une femme. Je reconnus qu’ils étaient Allemands ; ils me paraissaient être sous l’impression de la peur. Je leur demandai s’ils voulaient venir avec moi, mais l’homme répondit, d’une voix tremblante, que non, et, me montrant le côté de la route, ne me dit qu’un seul mot : « Cosaques ! » C’était un cantinier et sa femme, d’un régiment de la Confédération du Rhin, probablement de la garnison de Kowno, qui suivaient le mouvement de la retraite et qui ayant, comme moi, été surpris dans le bois par le hourra, s’étaient mis à l’écart. Sa femme lui conseillait de venir avec moi, mais l’homme ne voulut pas y consentir, et malgré tout ce que je pus lui dire, je me vis forcé, quoiqu’à regret, de m’en aller seul.

après avoir erré à l’aventure pendant une demi-heure, je m’arrêtai pour m’orienter, car il commençait déjà à faire nuit. Dans la partie de la forêt où je me trouvais, il y avait de la neige en quantité. Aucun chemin n’était battu ni frayé, pas même tracé. Je m’asseyais quelquefois, pour me