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te mangeront avant moi, vieil ivrogne ! Ah ! il te faut du rogomme ! continua-t-elle d’un ton goguenard. T’as diablement été privé depuis trois mois, mais possible qu’à Wilna et hier, à Kowno, tu en auras pris une bonne dose, c’est ça que tu as tant de blague ! Une chose qui m’étonne, c’est que tu ne sois pas mort d’avoir bu, comme tant d’autres que nous avons vus dans les rues. Il y a tant de braves gens qui sont restés là-bas, tandis que ce mauvais sujet, un mauvais soldat, vit encore ! — Halte-là, la mère Gâteau, reprit le vieux chasseur, lâchez-moi vos bordées tant que vous voudrez, mais au nom de mauvais soldat, mère Gâteau, halte-là ! »

Ensuite il continua, tout en grognant, de manger le morceau de viande de cheval qu’il tenait à la main et dans lequel il avait cessé de mordre pour répondre à la vieille cantinière.

Une minute après, elle reprit : « Voilà deux ans qu’il m’en veut, depuis qu’à l’École militaire je n’ai pas voulu lui donner à crédit. Ah ! si mon pauvre homme n’était pas mort, si un coquin de boulet ne l’avait pas coupé en deux à Krasnoé !… » Et puis elle s’arrêta. « Ce n’était pas votre homme ! Vous n’étiez pas mariée ! — Pas mariée ! Pas mariée ? Voilà bientôt cinq ans que je suis avec lui, depuis la bataille d’Eylau, et je ne suis pas mariée ? Que dis-tu de cela, Marie ? » en s’adressant à l’autre cantinière. Mais Marie, qui se trouvait dans la même position que la mère Gâteau, à l’égard du mariage, ne répondit rien.

Le chasseur demanda à la mère Gâteau si elle avait monté à la roue, à la montagne de Wilna : « Va, dit-elle, si j’en avais eu la force, je n’aurais pas manqué mon coup ! J’en ai ramassé dans la neige, mais ça m’a beaucoup avancée ! Lorsqu’on se trouve avec des coquins qui ne respectent rien, il n’y a pas de sûreté pour le sexe. Le soir, après avoir passé la montagne, lorsque j’arrivai au bivouac des chasseurs de chez nous, et comme j’avais encore un peu d’eau-de-vie que j’apportais de Wilna, je la donnai pour avoir une place au feu, et je me couchai sur la neige entre deux chasseurs du régiment, ou plutôt deux voleurs, qui m’ont chipé la moitié de mon argent. Par bonheur, j’étais couchée sur une poche qu’ils n’ont pu vider. Après cela, fiez-