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qu’il fut près de nous, il s’écria : « Eh ! per Dio santo ! Je ne me trompe pas, ce sont nos amis ! » À notre tour, nous le regardâmes. À sa voix et à son accent, nous le reconnûmes : c’était Pellicetti, un Milanais, ancien grenadier vélite ; il y avait trois ans qu’il avait quitté la Garde impériale, pour entrer comme officier dans celle du roi d’Italie. Pauvre Pellicetti ! Ce ne fut qu’au reste de son chapeau que nous pûmes deviner à quel corps il appartenait. Il nous conta que trois à quatre maisons avaient suffi pour loger le reste du corps d’armée du prince Eugène. Il attendait, nous dit-il, un de ses amis qui avait un cheval cosaque et qui portait le peu de bagages qui leur restait. Il en avait été séparé en sortant de Kowno.

C’était le 14 décembre ; il pouvait être neuf heures du matin. Le ciel était sombre, le froid supportable ; il ne tombait pas de neige ; nous nous mîmes en marche sans savoir où nous allions, mais, arrivés sur le grand chemin, nous aperçûmes un grand poteau avec une inscription qui indiquait aux soldats des différents corps la route qu’ils devaient suivre.

Nous prîmes celle indiquée pour la Garde impériale, mais beaucoup, sans s’inquiéter, marchèrent droit devant eux. À quelques pas de là, nous vîmes cinq à six malheureux soldats qui ressemblaient à des spectres, la figure hâve, barbouillée de sang provenant de leurs mains qui avaient gratté dans la neige pour y chercher quelques miettes de biscuit tombées d’un caisson pillé un instant avant. Nous marchâmes jusqu’à trois heures de l’après-midi ; nous n’avions fait que trois petites lieues, à cause du sergent Poton qui paraissait souffrir beaucoup.

Nous avions aperçu un village sur notre droite, à un quart de lieue de la route : nous prîmes la résolution d’y passer la nuit. En y arrivant, nous trouvâmes deux soldats de la ligne qui venaient de tuer une vache à l’entrée d’une écurie ; en voyant une aussi bonne enseigne, nous y entrâmes.

Le paysan auquel appartenait la vache, afin de sauver le plus de viande possible, vint lui-même nous en couper, nous faire du feu et, ensuite, nous apporta deux pots avec de l’eau pour faire de la soupe ; nous avions de la bonne