Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rossi, le froid avait beaucoup diminué. Après des efforts surnaturels, j’entrai dans le village ; il était temps, car j’avais fait tout ce qu’un homme peut faire pour échapper aux griffes de la mort.

La première chose que j’aperçus, en entrant, fut un grand feu à droite, contre le pignon d’une maison brûlée. Ne pouvant aller plus loin, je m’y traînai, mais quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant mes camarades ! Lorsque je fus près d’eux, je tombai presque sans connaissance.

Grangier me reconnut, s’empressa, avec d’autres de mes amis, de me secourir ; l’on me coucha sur de la paille : c’était la quatrième fois que nous en trouvions depuis que nous étions partis de Moscou. M. Serraris, lieutenant de la compagnie, qui avait de l’eau-de-vie, m’en fit prendre un peu ; ensuite l’on me donna du bouillon de cheval que je trouvai bon, car, cette fois, il était salé avec du sel, tandis que, jusqu’alors, nous mangions tout salé avec la poudre.

Mes coliques me reprirent plus fort que jamais ; j’appelai Grangier, je lui dis que je pensais que j’étais empoisonné. Aussitôt il fit fondre de la neige dans la petite bouilloire, pour me faire du thé qu’il apportait de Moscou ; j’en bus beaucoup ; ça me fit du bien.

Le pauvre Rossi arriva, aussi malheureux que moi ; il était accompagné du sergent Bailly, qu’il avait rencontré un instant après avoir été séparé de moi. Ce sergent était celui avec lequel j’avais été changer les billets de banque à Wilna, et avec lequel j’avais pris du café chez le juif. Il était aussi fortement indisposé que moi ; en me voyant, il me demanda comment je me portais et, lorsque je lui eus dit comme j’avais été malade après avoir pris le café, il ne douta plus qu’on ait voulu nous empoisonner, ou, au moins, nous mettre dans un état à pouvoir nous dévaliser.

Couché sur de la paille et près d’un grand feu, je m’arrangeais de mon mieux, quand, tout à coup, je ressentis dans les jambes et dans les cuisses, des douleurs tellement violentes que, pendant une partie de la nuit, je ne fis qu’un cri. Aussi j’entendais dire : « Demain, il ne pourra pas partir ! » Je le pensais aussi ; je me disposai à faire, comme beaucoup avaient déjà fait, mon testament. J’appelai mon intime ami Grangier ; je lui dis que je voyais bien que tout