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autour de moi, je la fis fondre et j’y mis du riz qui finit par cuire à demi. Comme je ne pouvais pas bien le prendre avec la cuiller, et qu’un chasseur, à ma droite, mangeait avec moi, je le renversai sur le cul de mon schako qui était creux : c’est de cette manière que nous le mangeâmes. Ensuite, reprenant ma position première, et comme le froid, cette nuit-là, n’était pas très rigoureux, je me rendormis.

11 décembre. — Lorsque je me réveillai, il n’était pas près encore d’être jour. Après avoir arrangé mon pied, je me levai pour me remettre en marche, car il fallait bien, si je ne voulais pas m’exposer à mourir de misère comme tant d’autres, rejoindre mes camarades. Je marchai seul jusqu’au jour, m’arrêtant quelquefois à un feu abandonné, où je trouvais des hommes morts ou mourants. Lorsqu’il fit jour, je rencontrai quelques soldats du régiment, qui me dirent qu’ils avaient couché avec l’état-major.

Un peu plus avant, j’aperçus un individu ayant sur les épaules une peau de mouton et marchant péniblement, appuyé sur son fusil. Lorsque je fus près de lui, je le reconnus pour le fourrier de notre compagnie. En me voyant, il jeta un cri de surprise et de joie, car on lui avait assuré que j’étais resté prisonnier à Wilna. Le pauvre Rossi, c’était son nom, avait les deux pieds gelés et enveloppés dans des morceaux de peau de mouton. Il me conta qu’il s’était séparé des débris du régiment, ne pouvant marcher aussi vite que les autres, et que nos amis étaient fort inquiets sur mon compte. Deux grosses larmes coulaient le long de ses joues, et comme je lui en demandais la cause, il se mit à pleurer en s’écriant : « Pauvre mère, si tu pouvais savoir comme je suis ! C’est fini, je ne reverrai plus jamais Montauban ! » — c’était le nom de son endroit. Je cherchai à le consoler en lui faisant voir que ma position était encore plus triste que la sienne. Nous marchâmes ensemble une partie de la journée ; souvent j’étais obligé de m’arrêter pour mon dérangement de corps et, quoique je n’eusse pas besoin de défaire mes pantalons pour satisfaire à mes besoins, je n’en perdais pas moins du temps, car, depuis Wilna, ne pouvant, à cause de mes doigts gelés ou engourdis, remettre mes bretelles, j’avais décousu mon pantalon depuis le