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ou engourdis, ils appelaient ceux qui n’en avaient pas pour leur en donner une partie, mais il est arrivé que celui qui en avait porté une partie du chemin et qui voulait en donner à d’autres, n’en avait plus ; il est même certain que, plus avant, des hommes qui n’en avaient pas ont forcé ceux qui en portaient à partager avec eux, et que le pauvre diable qui le portait depuis longtemps se voyait arracher son sac et était très heureux si, en voulant défendre ce qu’il avait, il se relevait, car il était toujours le moins fort.

J’avais gagné la route, et, comme je n’avais pas très froid, je m’arrêtai pour me reposer. Je voyais arriver d’autres hommes encore chargés d’argent et qui, par moments, s’arrêtaient pour tirer des coups de fusil aux Cosaques. Plus haut, l’arrière-garde était arrêtée pour laisser encore passer quelques hommes, ainsi que plusieurs traîneaux portant des blessés, et sur lesquels on avait mis, autant que l’on avait pu, des barils d’argent. Cela n’empêchait pas que des hommes, attirés par l’appât du butin, étaient encore restés en arrière, et, le soir, étant au bivouac, l’on m’assura que beaucoup avaient puisé dans les caissons avec les Cosaques.

Je continuai à marcher péniblement. Je vis venir à moi un officier de la Jeune Garde très bien habillé, bien portant, que je reconnus de suite. Il se nommait Prinier ; c’était un de mes amis, passé officier depuis huit mois. Surpris de le voir aller du côté d’où nous venions, je lui demandai, en l’appelant par son nom, où il allait : il me demanda à son tour qui j’étais. À cette sortie inattendue faite par un camarade avec lequel j’avais été dans le même régiment pendant cinq ans, et sous-officier comme lui, je ne pus m’empêcher de pleurer, en voyant que c’était parce que j’étais changé et misérable qu’il ne me reconnaissait pas. Mais, un instant après : « Comment, mon cher ami, c’est toi ! Comme te voilà malheureux ! » En disant cela, il me présenta une gourde pendue à son côté, dans laquelle il y avait du vin, en me disant : « Bois un coup ! » et, comme je n’avais qu’une main de libre, le brave Prinier me soutenait de la main gauche et, de l’autre, me versait le vin dans la bouche.

Je lui demandai s’il n’avait pas rencontré les débris de