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quelques hommes comme moi, dispersés çà et là sur la montagne, et qui cherchaient à gagner la route. Tout à coup, je fus forcé de m’arrêter, je n’avais plus de jambes ; je bus un bon coup de mon eau-de-vie et j’avançai ; j’arrivai sur un point de la montagne qui n’était pas éloigné de la route, et, comme je regardais la direction que je devais prendre, la neige croula sous moi et je m’enfonçai à plus de cinq pieds de profondeur. J’en avais jusqu’aux yeux ; je faillis étouffer, et c’est avec bien de la peine que je m’en tirai, tout transi de froid.

Un peu plus loin, j’aperçus une baraque et, comme je voyais qu’il y avait du monde, je m’y arrêtai ; c’était une vingtaine de militaires, presque tous de la Garde, ayant tous des sacs de pièces de cinq francs.

Plusieurs, en me voyant, se mirent à crier : « Qui veut cent francs pour une pièce de vingt francs en or ? » Mais, comme il ne se trouvait pas de changeurs, ils étaient très embarrassés, et finissaient par en offrir à ceux qui n’en avaient pas. Dans le moment, je tenais plus à mon existence qu’à l’argent : je refusai, car j’avais environ huit cents francs en or, et plus de cent francs en pièces de cinq francs.

Je restai dans cette baraque le temps d’arranger la peau de mouton sur ma tête, afin de préserver mes oreilles du froid, mais je ne pus changer de chemise, le temps pressant. Je sortis en suivant des musiciens chargés d’argent, mais qui, dans cette position, ne pouvaient aller bien loin.

Les coups de fusil, qui n’avaient pas cessé de se faire entendre, s’approchaient, de sorte que nous fûmes obligés de doubler le pas. Ceux qui étaient chargés d’argent ne pouvant le faire facilement, diminuaient leur charge en secouant leurs sacs pour en faire tomber les pièces de cinq francs, en disant qu’il aurait mieux valu les laisser dans les caissons, d’autant plus qu’il y avait de l’or à prendre, mais qu’ils n’avaient pas eu le temps d’enfoncer les caisses ; que, cependant, il y en avait beaucoup qui avaient des sacs de doubles Napoléons.

Un peu plus avant, j’en vis encore plusieurs venant de la direction où étaient les caissons, portant dans leurs mains des sacs d’argent : étant sans force et ayant les doigts gelés