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malgré sa figure maigre, pâle et noircie par le feu des bivouacs, paraissait encore plein d’énergie, mais d’un aspect étrange et en même temps comique, à cause du diable de chien qui le tirait toujours de côté en aboyant. Ses yeux étaient brillants, sa bouche écumait de rage en se voyant à la merci d’un adversaire qui, dans toute autre circonstance, n’aurait pas osé tenir une minute devant lui. Pour apaiser la soif qui le dévore, je le vois prendre plein la main de neige, la porter à sa bouche et, aussitôt, ressaisir son arme en la faisant résonner comme à l’exercice : c’est lui qui, à son tour, menace son ennemi.

Aux cris et aux gestes du cavalier, il était facile de voir qu’il n’était pas en sang-froid et, comme l’eau-de-vie ne leur manquait pas, ils paraissaient en avoir bu beaucoup ; on les voyait passer et repasser, en jetant des cris, auprès de quelques hommes qui n’avaient pu se replier du côté où devait venir l’arrière-garde, les jeter dans la neige et les fouler aux pieds de leurs chevaux, car presque tous étaient sans arme, blessés ou ayant les pieds et les mains gelés. D’autres, plus valides, ainsi que quelques Hessois échappés à la première charge, s’étaient mis dans des positions à pouvoir un instant leur résister, mais cela ne pouvait se prolonger, il fallait du secours ou succomber.

Le cavalier auquel mon vieux camarade avait affaire venait de passer à gauche, toujours le sabre levé, lorsque Daubenton me cria d’une voix forte : « N’aie pas peur, ne bouge pas, je vais en finir ! » À peine avait-il dit ces paroles que son coup de fusil partit ; il fut plus heureux que moi. Le cuirassier est atteint d’une balle qui lui entre sous l’aisselle droite et va ressortir du côté gauche. Il jette un cri sauvage, fait un mouvement convulsif et, au même instant, son sabre retombe en même temps que le bras qui le tenait. Ensuite, jetant des flots de sang par la bouche, il pencha le corps en avant sur la tête de son cheval qui n’avait pas bougé, et resta dans cette position, comme mort.

À peine Daubenton s’était-il délivré de son adversaire et débarrassé de Mouton pour s’emparer du cheval, que nous entendîmes, derrière nous, un grand bruit, ensuite des cris : « En avant ! À la baïonnette ! » aussitôt, je sors de mon caisson, je regarde du côté d’où viennent les cris, et j’aper-