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qu’ils étaient de cent roubles, et combien ils voulaient en donner : « Cinquante ! » nous dit le premier en allemand. « Cinquante-cinq ! » dit l’autre. « Soixante ! » reprend le premier. Enfin il finit par nous en offrir soixante-dix-sept, et je mis encore pour condition qu’il nous payerait du café au lait. Il y consentit. Le second vint derrière moi, en me disant : « Quatre-vingts ! » Mais le marché était arrêté et, comme on nous avait promis du café au lait, nous n’aurions pas voulu, pour vingt francs de plus au billet, faire marché avec d’autres.

Le juif avec qui nous venions de faire affaire nous conduisit chez un banquier, car lui n’était qu’un agent d’affaires. Le banquier était aussi juif. Lorsque nous y fûmes, on nous demanda nos billets ; nous en avions neuf. Pour mon compte, j’en avais trois. Après les avoir donnés, on les regarda minutieusement comme les juifs regardent. Ensuite, ils passèrent dans une autre chambre, et nous, en attendant nous nous assîmes sur un banc où nous pûmes, provisoirement, caresser notre pain. Le juif qui nous avait conduits était resté avec nous, mais, un instant après, on le fit passer dans une chambre où était le banquier. Alors nous pensâmes que c’était pour nous remettre notre argent, et nous attendîmes tranquillement.

L’envie que nous avions de boire du café nous fit perdre patience ; nous appelâmes le patron, mais personne ne parut. L’idée que l’on voulait nous voler me vint de suite ; j’en fis part à mon camarade, qui pensa comme moi. Alors, pour mieux se faire entendre, il donna un grand coup de crosse de fusil contre une espèce de comptoir. Comme personne ne paraissait encore, il redoubla contre une cloison en planches de sapin qui faisait séparation avec la chambre où étaient nos fripons. Nous les vîmes qui avaient l’air de se concerter. Ayant demandé notre argent, on nous dit d’attendre ; mais mon camarade chargea son arme en présence de toute la bande, et moi je sautai au cou de celui qui nous avait conduits, en lui demandant nos billets. Lorsqu’ils virent que nous étions déterminés à faire quelque scène qui n’aurait pas tourné à leur avantage, ils s’empressèrent de nous compter notre argent dont les deux tiers en or. Prenant celui qui nous avait conduits, nous le fîmes