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Une grosse femme se tenait debout contre la porte de la cave ; nous lui demandâmes si elle avait du pain à nous vendre. Elle nous répondit que non, qu’il n’y en avait pas de cuit, et, en même temps, elle nous offrit de descendre dans la cave, qui était la boulangerie, afin de nous en assurer. Un officier, qui était couché sur une botte de paille et enveloppé dans une grande pelisse, se leva et descendit avec nous. Nous vîmes deux garçons boulangers qui dormaient. Nous regardâmes de tous côtés, nous ne vîmes rien, et nous commencions à croire que cette femme ne nous avait pas trompés, quand, tout à coup, en me baissant, j’aperçus, sous le pétrin, un grand panier que je tirai à moi. À notre grande surprise, nous vîmes qu’il contenait sept grands pains blancs, de trois à quatre livres, aussi beaux que ceux qu’on fait à Paris. Quel bonheur ! Quelle trouvaille pour des hommes qui n’en avaient pas mangé depuis cinquante jours ! Je commençai par m’emparer de deux, que je mis sous mes bras et sous mon collet, mon camarade en fit autant, et l’officier prit les trois autres : cet officier était Fouché, grenadier vélite, alors adjudant-major dans un régiment de la Jeune Garde, actuellement maréchal de camp. Nous sortîmes de la cave : la femme était encore debout à la porte ; nous lui dîmes que nous reviendrions le matin, lorsqu’il y aurait du pain de cuit. Pour être débarrassée de nous, ne s’apercevant pas de ce que nous emportions, elle nous ouvrit la porte, et nous fûmes dans la rue[1]

Une fois libres, laissant tomber nos fusils dans la neige, nous nous mîmes à mordre dans nos pains comme des voraces, mais, comme j’avais les lèvres toutes fendues, je ne pouvais ouvrir la bouche pour mordre comme je l’aurais voulu.

Dans ce moment, nous aperçûmes deux individus qui nous demandèrent si nous n’avions rien à vendre ou à changer : nous reconnûmes des juifs. Je commençai par leur dire que nous avions des billets de banque russes,

  1. Depuis ce temps, j’ai revu M. le général Fouché, et lui rappelant cet épisode de Wilna, il me dit qu’après notre sortie de la maison, il manqua d’être assassiné par ceux qui étaient dans la même maison et par les personnes de la maison qui voulaient lui faire payer celui que nous avions emporté. (Note de l’auteur.)