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ne faisait pas si froid et si je n’avais pas une patte gelée, je voudrais battre la charge demain, toute la journée ! »

Je retournai au faubourg ; en entrant dans la maison où nous étions logés, je trouvai tous mes camarades couchés sur le plancher ; l’on avait fait du bon feu, il faisait chaud ; j’étais plus que fatigué, je fis comme eux : je me couchai.

Il pouvait être deux heures du matin lorsque je m’éveillai et, comme j’avais manqué le rendez-vous donné aux grenadiers de la garde du maréchal, j’annonçai à mes camarades que j’allais entrer en ville pour y chercher du pain, que c’était le bon moment, parce que toute la troupe était couchée et que, d’ailleurs, j’avais des billets de banque russes. On m’avait assuré que, plus loin, l’on n’en voudrait plus, et qu’à l’heure qu’il était, je trouverais facilement des juifs ne demandant pas mieux que de faire des échanges. Plusieurs tâchèrent de se lever pour venir avec moi, mais ne le purent. Un seulement, Bailly, sergent vélite, se leva, et les autres nous chargèrent de leurs billets, comptant d’en avoir cinquante francs. Nous les avions reçus, à Moscou, pour cent, qui était leur valeur : cent roubles.

Il faisait un beau clair de lune, mais, lorsque nous fûmes sur la rue, il ne s’en fallut pas de beaucoup que nous ne rentrâmes dans la maison, tant le froid était excessif.

Jusqu’à la porte de la ville, nous ne rencontrâmes personne. Arrivés à la porte, nous ne vîmes personne pour la garder, pas une sentinelle : les Russes pouvaient y entrer aussi facilement que nous. Lorsque nous fûmes en face de la première maison sur notre gauche, j’aperçus de la lumière par le soupirail de la cave et, me baissant, je vis que c’était une boulangerie, et que l’on venait d’y cuire du pain. Depuis que nous nous étions approchés de la maison, l’odeur nous en montait fortement au nez. Mon camarade frappa ; aussitôt l’on vint demander ce que nous voulions. Nous répondîmes : « Ouvrez, nous sommes des généraux ! » De suite l’on ouvrit, et nous entrâmes. On nous fit passer dans une grande chambre où nous vîmes beaucoup d’officiers supérieurs étendus à terre. On ne s’inquiéta pas de savoir si nous étions ce que nous nous étions annoncés, car depuis longtemps, l’on avait peine à reconnaître un officier supérieur d’avec un soldat.