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n’étions pas encore sur la place que l’on rompit les rangs, et chacun s’en alla, persuadé que nous ne serions pas longtemps tranquilles. Je courus à la droite pour retrouver Picart, mais, à ma grande surprise, l’on me dit qu’il avait pris la première à gauche avec dix autres grenadiers et chasseurs commandés par un officier, pour être de garde chez le roi Murat, qui venait de quitter la ville pour aller se loger dans le faubourg, sur la route de Kowno.

Je pris le parti de le chercher au logement du roi Murat. Chemin faisant, je passai devant la maison où était logé le maréchal Ney : devant la porte, plusieurs grenadiers de la ligne, de garde, se chauffaient à un bon feu qui me donna une envie de m’approcher pour y prendre part. Voyant comme j’étais malheureux, ils s’empressèrent de me faire place. Plusieurs étaient vigoureux et bien habillés.

Comme je leur en témoignais ma surprise, ils me dirent qu’ils n’avaient pas été jusqu’à Moscou ; qu’ayant été blessés au siège de Smolensk, on les avait évacués sur Wilna, où ils avaient resté jusqu’à présent ; qu’ils étaient guéris et prêts à se battre. Je leur demandai s’ils ne pouvaient me procurer du pain. Ils me dirent, comme le juif, que, si je voulais revenir le soir, ou rester avec eux, ils étaient certains que j’en aurais, mais, comme il fallait que je retourne au faubourg où était le bataillon, je promis à ces grenadiers que je reviendrais le soir, et que chaque pain de munition leur serait payé cinq francs. Avant de les quitter, ils me contèrent qu’un instant avant que je n’arrive près d’eux, un peu après que les Russes s’étaient montrés près de la ville, un général allemand était venu chez le maréchal, en lui conseillant de partir, s’il ne voulait pas être surpris par les Russes ; mais le maréchal lui avait répondu, en lui montrant une centaine de grenadiers qui se chauffaient dans la cour, qu’avec cela il se moquait de tous les Cosaques de la Russie, et qu’il coucherait dans la ville.

Je leur demandai combien ils étaient pour la garde du maréchal : « Environ soixante, me répondit un tambour assis sur sa caisse, et autant que nous avons trouvés ici bien portants. Depuis le passage du Dniéper, je suis avec le maréchal et, avec lui, nous savons comment l’on arrange ces chiens de Cosaques. Coquin de Dieu ! continua-t-il, s’il