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arrivée, et que ceux qui étaient chargés des distributions, ainsi que les commissaires des guerres, s’étaient sauvés.

Nous continuâmes notre route, enjambant sur les morts et les mourants. Lorsque nous fîmes halte près d’un bois où un soldat de la compagnie aperçut un cheval abandonné, nous nous réunîmes à plusieurs pour le tuer et en prendre chacun un morceau, mais comme personne n’avait plus de hache ni de forces pour en couper, nous le tuâmes pour en avoir le sang, que nous recueillîmes dans une marmite enlevée à une cantinière allemande et, comme nous trouvions toujours des feux abandonnés, nous le fîmes cuire en mettant dedans de la poudre pour assaisonnement : mais, à peine était-il à moitié cuit, nous aperçûmes une légion de Cosaques. Nous eûmes, cependant, le temps de le manger tel qu’il était et à pleines mains, de manière que nos figures et nos vêtements étaient barbouillés de sang. Nous étions épouvantables à voir, et nous faisions pitié.

Cette halte, causée par un embarras occasionné par l’artillerie, que des chevaux à demi morts traînaient encore, avait réuni plus de trente mille hommes de toutes armes et de toutes les nations, qui offraient un tableau impossible à décrire. Enfin, nous continuâmes à marcher, et nous arrivâmes dans un grand village à trois ou quatre lieues de Wilna.

Comme j’allais me disposer à passer la nuit dans une écurie où toute la compagnie était logée, l’on me commanda de garde de police. Je partis avec les hommes que l’on put ramasser et qui vinrent de bon cœur, espérant être mieux, mais l’on me désigna, pour corps de garde, une espèce de baraque qui se trouvait au milieu de la place, sur une élévation, et où le vent vient de tous côtés ; malgré le grand feu que nous avions fait, il nous fut impossible de reposer un seul instant.

Je reconnus ce village pour celui où nous avions logé, cinq mois avant, en partant de Wilna pour aller à Moscou, et où j’avais perdu un trophée, c’est-à-dire une petite boîte dans laquelle il y avait des bagues, des colliers en cheveux et des portraits provenant des maîtresses que j’avais eues dans tous les pays où j’avais été. J’ai beaucoup regretté ma petite collection.