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Depuis le moment où, près du pont de la Bérézina, le pauvre Gros-Jean m’avait laissé son sac, je n’avais pas encore pensé de l’ouvrir, afin de voir ce qu’il pouvait contenir. Comme j’étais certain qu’il ne reviendrait plus, au moins de si tôt, j’en fis la visite en présence des deux hommes de la compagnie qui étaient avec moi et qui, précisément, étaient de son escouade. Je ne trouvai rien d’extraordinaire : seulement un mouchoir renfermant un peu de gruau mélangé avec du seigle. Un des hommes avait le couvercle d’une marmite ; nous le fîmes cuire. Je trouvai encore une mauvaise paire de souliers, mais pas de chemise, chose dont j’avais tant besoin ; le reste m’était tout à fait inutile.

Heureusement, dans l’endroit où nous étions arrêtés, se trouvait beaucoup de bois coupé ; nous fîmes grand feu. La nuit, le froid fut supportable, mais, le matin au point du jour (journée du 3), un vent du nord s’éleva, qui nous amena un froid de vingt degrés. Il fallut se mettre en marche, car la position n’était pas tenable. Après avoir mangé un morceau de cheval, nous partîmes, suivant machinalement ceux qui marchaient devant nous, et qui, pas plus que nous, ne savaient où ils étaient, ni où ils allaient. Le froid cessa un peu dans la journée, le soleil fut brillant, aussi nous fîmes beaucoup de chemin, nous arrêtant dans des maisons isolées ou à des feux de bivac abandonnés. Autant que je puis me le rappeler, nous couchâmes dans une maison de poste.

Le soleil, qui s’était montré la veille, n’était que l’avant-coureur d’une gelée extraordinaire. Je ne dirai rien de cette journée, car, en vérité, je n’ai jamais su comment je la passai. Je fus absorbé tellement que, lorsque mes deux soldats m’adressaient la parole, je leur répondais d’une manière à leur faire penser que j’étais fou. Le froid fut intolérable. Beaucoup prirent les premiers chemins qu’ils rencontrèrent, dans l’espoir de trouver des habitations ; enfin nous finîmes, comme beaucoup, par nous perdre, en suivant des Polonais qui prenaient un chemin pour aller sur Varsovie, par Olita. Un Polonais qui parlait français m’assura que nous étions à plus d’une lieue de la route de Wilna. Nous voulûmes revenir sur nos pas ; nous nous perdîmes de nouveau, nous rencontrâmes trois officiers suivis