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sitôt, je tremblai de la fièvre. Je fus longtemps dans le délire ; je croyais être chez mon père, mangeant des pommes de terre et une tartine à la flamande, et buvant de la bière. Je ne sais combien de temps je fus dans cette situation, mais je me rappelle que mes amis m’apportèrent, dans une gamelle, du bouillon de cheval très chaud que je pris avec plaisir et qui, malgré le froid, me fit transpirer, car, indépendamment de la peau d’ours qui m’enveloppait, mes amis, pendant que je tremblais, m’avaient couvert avec une grande toile cirée qu’ils avaient arrachée d’un dessus de caisson de l’état-major, sans chevaux. Je passai le reste de la journée et de la nuit sans bouger.

Le lendemain 27, j’étais un peu mieux, mais extraordinairement faible. Ce jour-là, l’Empereur passa la Bérézina avec une partie de la Garde et environ mille hommes appartenant au corps du maréchal Ney. C’était une partie du reste de son corps d’armée. Notre régiment resta sur le bord. Je m’entendis appeler par mon nom : je levai la tête et je reconnus M. Peniaux, directeur des postes et des relais de l’Empereur, qui, en voyant le régiment où il savait que j’étais, s’était informé de moi. On lui avait dit que j’étais malade. Il venait, non pour me donner des secours, puisqu’il n’avait rien pour lui-même, mais pour m’encourager. Je le remerciai de l’intérêt qu’il me témoignait, en ajoutant que je pensais que je ne passerais pas la Bérézina, que je ne reverrais plus la France, mais que lui, si, plus heureux que moi, il avait le bonheur de retourner au pays, je le priais de dire à mes parents dans quelle triste situation il m’avait vu. Il m’offrit de l’argent, je le remerciai, car j’avais la valeur de huit cents francs que j’aurais volontiers donnés pour la tartine, les pommes de terre que j’avais cru manger chez moi.

Avant de me quitter, il me montra de la main la maison où l’Empereur avait logé, en me disant qu’il avait joué de malheur, car cette maison était un magasin de farine, mais que les Russes avaient tout emporté, de sorte qu’il n’avait rien à m’offrir. Il me donna une poignée de main, et me quitta pour passer le pont.

Lorsqu’il fut parti, je me rappelai qu’il m’avait parlé d’un magasin de farine dans la maison où avait logé l’Empereur. Aussitôt je me lève, et, quoique bien faible, je me traîne de