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lui manquant, il tomba à genoux d’un air suppliant, pour implorer la miséricorde de Dieu et de celui qui ne lui voulait pas de mal, car Picart n’avait tiré son sabre que pour couper un bouleau gros comme mon bras et le consulter sur la direction que nous avions à prendre. Il coupa l’arbre par le milieu et, ayant examiné la partie qui restait attachée au sol, me dit d’un grand sang-froid : « Voilà la direction que nous devons prendre ! L’écorce de l’arbre, de ce côté, qui est celui du nord, est un peu rousse et gâtée, tandis que, de l’autre côté, qui est celui du midi, elle est blanche et bien conservée. Marchons au midi ! »

Nous n’avions plus de temps à perdre, car notre plus grande crainte était que la nuit nous surprît. Nous cherchâmes à nous frayer un chemin, ayant toujours soin de ne pas perdre de vue la direction de notre point de départ.

Dans ce moment, le juif, qui marchait derrière nous, jeta un cri. Nous le vîmes étendu de son long. Il était tombé en tirant le cheval qu’il voulait faire passer entre deux arbres trop serrés l’un contre l’autre, de manière que le pauvre cognia ne savait plus ni avancer, ni reculer. Nous fûmes obligés de débarrasser et l’homme et le cheval, dont la charge ainsi que le harnachement étaient tombés sur les jambes de derrière.

J’enrageais aussi de voir que nous perdions un temps aussi précieux ; j’aurais volontiers abandonné le cheval, et il aurait fallu en venir là si, au bout d’une demi-heure d’efforts, nous ne fussions tombés dans un chemin assez large, que le juif reconnut pour être la continuation de celui dont nous avions perdu la direction ; pour preuve, il nous montra plusieurs gros arbres qu’il reconnaissait, parce qu’ils contenaient des ruches qu’il nous fit voir et qui, malheureusement, étaient perchées trop haut pour notre bec[1].

Picart, ayant regardé à sa montre, vit qu’il était près de quatre heures. Nous n’avions pas de temps à perdre. Nous

  1. En Pologne, en Lithuanie, et dans une partie de la Russie, on choisit, dans les forêts, les arbres les plus gros et à une hauteur de dix à douze pieds, l’on creuse dans le corps de l’arbre un trou de la profondeur d’un pied, sur autant de largeur et trois de hauteur, et c’est là que les mouches déposent leur miel, que souvent les ours, qui sont très friands et en grande quantité dans ces forêts, vont souvent dénicher. Aussi c’est souvent un piège pour les prendre. (Note de l’auteur.)