Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec tant de force, que nous ne sûmes plus où nous diriger. Cet état de choses dura jusqu’au moment où notre guide se mit à pleurer, en nous disant qu’il ne savait plus où nous étions.

Nous voulûmes retourner sur nos pas, mais ce fut bien pis, à cause de la neige qui nous tombait en pleine figure ; nous n’eûmes rien de mieux à faire que de nous mettre contre un massif de gros sapins, en attendant qu’il plût à Dieu de faire cesser le mauvais temps. Cela dura encore plus d’une demi-heure. Nous commencions à être transis de froid. Picart jurait par moments ; quelquefois il fredonnait :

Ah ! tu t’en souviendras, la-ri-ra,
Du départ de Boulogne !

Le juif ne faisait que répéter : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! » Tant qu’à moi, je ne disais rien, mais je faisais des réflexions bien sinistres. Sans ma peau d’ours et le bonnet du rabbin que je portais sous mon schako, je pense que j’aurais succombé de froid.

Lorsque le temps fut devenu meilleur, nous cherchâmes à nous orienter de nouveau, mais à la tempête avait succédé un grand calme, de manière à ne plus savoir distinguer le nord avec le midi. Nous étions tout à fait désorientés. Nous marchions toujours au hasard, et je m’apercevais que nous tournions toujours sur nous-mêmes, revenant continuellement à la même place.

Picart continuait à jurer, mais c’était contre le juif.

Cependant, après avoir marché encore quelque temps, nous nous trouvâmes dans un espace d’environ quatre cents mètres de circonférence, qui nous donna l’espoir de trouver un chemin. Mais, après en avoir fait plusieurs fois le tour, nous ne découvrîmes rien. Nous nous regardions, car chacun de nous attendait un avis de son camarade. Tout à coup, je vis mon vieux grognard poser son fusil contre un arbre, et, regardant de tous côtés comme s’il cherchait quelque chose, tirer son sabre du fourreau. À peine avait-il fait ce mouvement, que le pauvre juif, croyant que c’était pour le tuer, se mit à jeter des cris épouvantables et à abandonner le cheval pour fuir. Mais, les forces