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c’était dans la direction de la Bérézina que l’on entendait le canon. Enfin mon vieux compagnon était tellement content qu’il se mit à chanter :

Air du Curé de Pomponne.

Les Autrichiens disaient tout bas :
Les Français vont vite en besogne,
Prenons, tandis qu’ils n’y sont pas,
L’Alsace et la Bourgogne.
Ah ! Tu t’en souviendras, la-ri-ra,
Du départ de Boulogne (bis)[1].

Une demi-heure après, notre marche devint tellement embarrassante, qu’il était impossible de voyager plus longtemps. Notre guide croyait s’être trompé. C’est pourquoi, rencontrant un espace assez élevé pour y marcher plus à l’aise, nous n’hésitâmes pas un instant à nous y jeter, espérant y rencontrer un chemin où nous puissions marcher avec plus de facilité. Nous entendions toujours le bruit du canon, mais plus distinctement, depuis que nous avions pris cette nouvelle direction ; il pouvait être alors midi. Tout à coup, le canon cessa de se faire entendre, le vent recommença et la neige le suivit de près, mais en si grande quantité que nous ne pouvions plus nous voir, de sorte que le pauvre enfant d’Israël finit par renoncer à conduire le cheval. Nous lui conseillâmes de monter dessus. C’est ce qu’il fit. Je commençais à être extrêmement fatigué et inquiet. Je ne disais rien, mais Picart jurait comme un enragé après le canon qu’il n’entendait plus, et après le vent, disait-il, qui en était la cause. Nous arrivâmes de la sorte dans un endroit où nous ne pouvions plus avancer, tant les arbres étaient serrés les uns contre les autres. À chaque instant, nous étions arrêtés par d’autres obstacles, nous allions mesurer la terre de tout notre long et nous enterrer dans la neige. Enfin, après une marche pénible, nous eûmes le chagrin de nous retrouver au point où nous étions partis, une heure avant.

Voyant cela, nous arrêtâmes un instant ; nous bûmes un

  1. Cette chanson avait été faite en partant du camp de Boulogne en 1805, pour aller en Autriche, pour la bataille d’Austerlitz. (Note de l’auteur.)