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L’autre jeune fille, qui paraissait l’aînée, en faisait autant à mon camarade qui, d’un air confus, se laissait faire tranquillement. Je lui dis qu’il était bien vrai qu’une inspiration du bon Dieu l’avait porté à suivre les traces de ces jeunes filles : « Oui, dit-il ; mais en les voyant passer dans la forêt, je ne pensais pas qu’elles nous auraient aussi bien accueillis. Je ne vous ai pas encore dit, continua-t-il, que ma tête me faisait un mal de diable, et que, depuis que je suis un peu reposé, cela se fait sentir. Vous allez voir, tout à l’heure, que la balle de ce chien de Cosaque m’aura touché plus près que je ne pensais. Nous allons voir ! » Il dénoua un cordon qu’il avait sous le menton et qui servait à tenir deux morceaux de peau de mouton, attachés de chaque côté de son bonnet à poil, afin de préserver ses oreilles de la gelée. Mais à peine était-il décoiffé, que le sang commença à ruisseler : « Voyez-vous ! me dit-il. Mais cela n’est rien. Ce n’est qu’une égratignure. La balle aura glissé sur le côté de la tête. » Le vieux Polonais s’empressa de lui ôter son fourniment qu’il avait perdu l’habitude de quitter, de même que son bonnet à poil, avec lequel il couchait toujours. La fille qui lui lavait les pieds lui lava aussi la tête. Tout le monde se mit autour de lui pour le servir. Le pauvre Picart était tellement sensible aux soins qu’on lui donnait, que de grosses larmes coulaient le long de sa figure. Il fallait des ciseaux pour lui couper les cheveux. Je pensai de suite à la giberne du chirurgien, que j’avais prise sur le Cosaque, et, me l’ayant fait apporter, nous y trouvâmes tout ce qu’il nous fallait pour le pansement : deux paires de ciseaux et plusieurs autres instruments de chirurgie, de la charpie et des bandes de linge. Après lui avoir coupé les cheveux, la vieille femme lui suça la plaie, qui était plus forte qu’il ne pensait. Ensuite, on lui mit un peu de charpie,

    envoyait dans la figure la neige qui tombait à gros flocons, ainsi que la fumée de leur poudre et de la nôtre, de manière qu’ils pouvaient nous voir presque sans être vus. Nous fûmes dans cette position jusqu’à sept heures du soir. Notre régiment, qui était le deuxième grenadiers, fut envoyé, à trois heures de l’après-midi, reprendre la position du matin dont les Russes voulaient s’emparer. Toute la nuit, comme pendant la bataille, il ne cessa de tomber de la neige. C’est ce jour-là que j’eus le pied droit gelé, qui ne fut guéri qu’au camp de Finkelstein, avant la bataille d’Essling et de Friedland. (Note de l’auteur.)