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pour distinguer les objets d’assez loin, et le chemin qui traverse cette immense forêt était presque droit, de manière que nous n’avions pas à craindre d’être surpris dans les sinuosités.

Nous marchions environ depuis une demi-heure, quand nous rencontrâmes, sur la lisière du bois, sept paysans qui semblaient nous attendre.

Ils étaient sur deux rangs. Le septième, qui nous parut déjà âgé, semblait les commander. Ils étaient vêtus chacun d’une capote de peau de mouton, leurs chaussures étaient faites d’écorces d’arbres avec des ligatures de même ; ils s’approchèrent de nous, nous souhaitèrent le bonjour en polonais, et, ayant reconnu que nous étions Français, cela parut leur faire plaisir. Ensuite, ils nous firent comprendre qu’il fallait qu’ils se rendent à Minsk, où était l’armée russe, car ils faisaient partie de la milice ; on les faisait marcher en masse contre nous, à coups de knout, et partout, dans les villages, il y avait des Cosaques pour les faire partir. Nous poursuivîmes notre route ; lorsque nous les eûmes perdus de vue, je demandai à Picart s’il avait bien compris ce que les paysans avaient dit, à propos de Minsk qui était un de nos grands entrepôts de la Lithuanie, où nous avions des magasins de vivres et où, disait-on, une grande partie de l’armée devait se retirer. Il me répondit qu’il avait très bien compris, et que, si cela était vrai, c’est que papa beau-père nous avait joué un mauvais tour. Comme je ne le comprenais pas bien, il me répéta que, si c’était comme cela, c’est que les Autrichiens nous avaient trahis. Je ne pouvais comprendre ce qu’il pouvait y avoir de commun entre les Autrichiens et Minsk[1]. Il allait, disait-il, m’expliquer la guerre, lorsque, tout à coup, il ralentit le pas du cheval en me disant : » Voyez, si l’on ne dirait pas là, devant nous, une colonne de troupes ? » J’aperçus quelque chose de noir, mais qui disparut tout à coup. Un instant après, la tête de cette colonne reparut comme sortant d’un fond.

Nous pûmes bien voir que c’étaient des Russes. Plusieurs

  1. Picart savait bien ce qu’il disait en parlant de la trahison des Autrichiens, car j’ai pu savoir, depuis, qu’un traité d’alliance avait été fait contre nous. (Note de l’auteur.)