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dessus mon sac, la marmite que je portais ce jour-là, pour mon tour. Mon pauvre Picart, vous devez vous en souvenir aussi ? — Par la sacrebleu, si je m’en souviens ! répond Picart. C’est pour cela que je vous en parle, et pour vous demander si l’industrie et le besoin auraient pu raccommoder votre marmite ! — Non certainement, pas plus que les deux têtes qu’il emporta de Grégoire et de Lemoine ! — Diable ! me dit Picart, comme vous vous rappelez leurs noms ! — Je ne les oublierai jamais, car Grégoire était vélite comme moi, et, de plus, un ami intime. J’avais, ce jour-là, dans la marmite, du biscuit et des haricots. — Oui, répond Picart, qui firent mitraille sur nos frimousses ! Coquin de Dieu ! quelle journée encore que celle-là ! »

En causant de la sorte, la neige fondait dans la marmite. Nous y mîmes de la viande tant que nous pûmes, afin qu’après en avoir mangé, il pût nous en rester assez de cuite pour la route que nous avions à faire.

Ma curiosité me porta à voir ce que contenait la carnassière en toile que j’avais ramassée, la veille, auprès des deux malheureux que j’avais trouvés mourants sur le bord de la route. Je n’y trouvai que trois mouchoirs des Indes, deux rasoirs et plusieurs lettres écrites en français et datées de Stuttgard, à l’adresse de Sir Jacques, officier badois au régiment de dragons. Ces lettres étaient d’une sœur et pleines d’expressions d’amitié. Je les avais conservées, mais, lorsque je fus fait prisonnier, elles furent perdues.

Assis devant le feu, à l’entrée de l’abri que nous avions choisi, le dos tourné au nord, Picart ouvrit son sac. Il en tira un mouchoir où, dans l’un des coins, il y avait du sel, et, dans l’autre, du gruau. Il y avait longtemps que je n’en avais vu autant ; aussi je faisais des grands yeux, en pensant que j’allais manger une soupe salée au sel, moi qui, depuis un mois, en mangeais, ayant pour tout assaisonnement de la poudre. Il présida avec ordre à la cuisine, en mettant à part une partie du gruau pour la soupe, lorsque la viande serait cuite.

Comme je me trouvais extraordinairement fatigué, et l’envie de dormir étant cette fois provoquée par la chaleur d’un bon feu, je témoignai le désir de me reposer : « Eh bien, me dit Picart, reposez-vous, enfoncez-vous sous l’abri,