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cachés par la neige. Enfin, après une petite heure, nous arrivâmes au point tant désiré, et au moment où la neige commençait à tomber par gros flocons.

L’ouragan était tellement violent, qu’à chaque instant des arbres tombaient, cassés ou déracinés, menaçant de nous écraser, de sorte que nous fûmes forcés de sortir de la forêt et de suivre la lisière du bois, ayant le vent à notre gauche. Nous fûmes arrêtés dans notre marche par un grand lac que nous aurions pu facilement traverser, puisqu’il était gelé. Mais ce n’était pas notre direction. Enfin, ne pouvant plus marcher à cause de la quantité de neige qui nous empêchait d’y voir, nous prîmes le parti de nous abriter contre deux bouleaux assez gros pour nous garantir, et attendre mieux.

Il y avait déjà longtemps que nous battions la semelle pour ne pas avoir les pieds gelés, quand je m’aperçus que le vent était tombé un peu. J’en fis l’observation à Picart afin de nous disposer à changer de place : « À la bonne heure ! mon bon ami, me dit-il, car il faudrait avoir le corps plus dur que du fer pour ne pas passer l’arme à gauche, au bout d’une heure que l’on resterait ici ! »

Nous avions déjà côtoyé une grande partie du lac, lorsque je vis Picart s’arrêter tout à coup et regarder fixement. Je l’interroge des yeux. Il me répond en me saisissant le bras et en me disant bas à l’oreille : « Bouche cousue ! » Alors, me traînant sur la droite, derrière un buisson de petits sapins, et me regardant, il me dit encore à voix basse : « Vous ne voyez donc pas ? — Je ne vois rien ; et vous, que voyez-vous ? — De la fumée, un bivac ! » Effectivement, je vis ce qu’il me disait.

Une idée me vint. Je dis à Picart : « Si, par hasard, le feu que nous voyons était l’emplacement du bivac de la cavalerie russe que nous avons vue ce matin ? — Je pense comme vous, me dit-il, il nous faut agir comme s’ils étaient là. Ce matin, avant notre départ, nous avons commis une grande faute en ne chargeant pas nos armes, lorsque nous étions près du feu. À présent que nous avons les mains engourdies et que les canons de nos fusils sont remplis de neige, nous ne saurions le faire, mais avançons toujours avec prudence ! »