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Après quelque temps, Picart s’arrêta en me disant tout bas : « Respirons, nous sommes sauvés, au moins pour le moment. Nous avons eu du bonheur, car si l’ours, en parlant du Cosaque blessé, s’était aperçu que les siens passaient si près de lui, il n’y a pas à douter qu’il n’eût beuglé comme un taureau, pour se faire entendre, et Dieu sait ce qui serait arrivé ! À propos, j’ai oublié quelque chose, et c’est le principal ; il faut retourner d’où nous venons. Il se trouve, sur le derrière du caisson, une marmite que j’ai oublié de prendre, et qui vaut mieux, pour nous, que tout ce qu’il y avait dedans ! » Comme il voyait que je n’étais pas trop de son avis : « Allons ! marchons ! me dit-il, ou nous sommes exposés à mourir de faim ! »

Nous arrivâmes à notre bivac ; nous trouvâmes notre feu presque éteint, et le pauvre diable de Cosaque, que nous y avions laissé dans des souffrances terribles, se roulant dans la neige, ayant la tête presque dans le feu. Nous ne pouvions rien faire pour le soulager, cependant nous le mîmes sur des schabraques de peaux de moutons, afin qu’il pût mourir plus commodément : « Il n’est pas encore près de mourir, me dit Picart ! car voyez comme il nous regarde ! Ses yeux brillent comme deux chandelles ! » Nous l’avions presque assis, et nous le tenions chacun par un bras, mais, au moment où nous le quittâmes, il retomba la face dans le feu. Nous n’eûmes que le temps de le retirer, afin qu’il ne fût pas brûlé. Ne pouvant mieux faire, nous le laissâmes pour nous dépêcher de chercher la marmite, que nous retrouvâmes écrasée à ne pouvoir s’en servir ; cela n’empêcha pas Picart de me l’attacher sur le dos.

Ensuite, nous essayâmes de monter la côte, afin de gagner, avant qu’il fît jour, le bois, où nous pourrions être à l’abri du froid et de l’ennemi. Après avoir roulé deux fois du haut en bas, nous pûmes parvenir à nous frayer un chemin dans la neige. Nous arrivâmes en haut précisément en face de l’endroit où j’avais été précipité la veille, et où nous avions vu la cavalerie russe filer un instant avant. Nous nous arrêtâmes pour respirer et voir la direction que nous devions prendre : « Tout droit ! me dit Picart. Suivez-moi ! » En disant la parole, il allonge le pas, je le suis, mais à peine a-t-il fait trente pas, que je le vois disparaître dans