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après avoir mangé et pris pour boisson un peu de neige à l’eau-de-vie, nous prîmes encore chacun un morceau de viande que Picart mit sur son sac, et moi dans ma carnassière, et, debout devant notre feu, nous nous chauffâmes les mains sans rien nous dire, mais pensant, chacun de notre côté, à ce que nous devions faire.

« Ah ! çà, dit le vieux brave, voyons, de quel côté allons-nous tirer nos guêtres ? — Mais, lui dis-je, j’ai toujours cette infernale musique dans les oreilles ! — Nous nous sommes peut-être trompés. Cela pourrait bien être la diane, ou le réveil des grenadiers à cheval de chez nous ! Vous connaissez bien l’air :

Fillettes, auprès des amoureux,
Tenez bien votre sérieux, etc. »

J’interrompis Picart en lui disant que, depuis plus de quinze jours, la diane, ainsi que le réveil du matin, était morte, que nous n’avions plus de cavalerie, et qu’avec ce qui restait, l’on avait formé un escadron, que l’on appelait l’escadron sacré, qu’il était commandé par le plus ancien maréchal de France, que les généraux y étaient comme capitaines et que les colonels, ainsi que les autres officiers, servaient comme soldats ; qu’il en était de même d’un bataillon que l’on appelait le bataillon sacré, enfin que, de 40 000 hommes de cavalerie, il n’en restait plus 1000.

Et, sans lui donner le temps de me répondre, je lui dis que ce qu’il avait entendu était bien le signal de départ de la cavalerie russe, et que c’était cela qui l’avait fait sortir du caisson : « Oh ! c’est pas tout à fait ça, mon pays, qui m’a fait décamper, mais bien que, depuis quelque temps, je voyais vos dispositions à y mettre le feu ! »

À peine Picart avait-il prononcé le dernier mot, qu’il me saisit par le bras en me disant : « Silence ! Couchez-vous ! » Aussitôt, je me jette à terre. Il en fait autant, et, prenant la cuirasse que j’avais apportée, il en couvre le feu ; je regarde et j’aperçois la cavalerie russe défiler au-dessus de nous, dans le plus grand silence. Cela dura un bon quart d’heure. Aussitôt qu’ils furent partis : « Suivez-moi ! » me dit-il, et, nous tenant par le bras, nous nous mîmes à marcher dans la direction d’où venait la cavalerie.