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bien : voyez ses yeux ! Il est ici depuis hier cinq heures, mais quelque temps après, il a disparu. C’est pourquoi je suis surpris de le revoir. »

Je contai à Picart comment je l’avais vu et la peur qu’il m’avait faite : « Et vous, me dit-il, mon pays, comment diable êtes-vous tombé ici pendant la nuit ? — Avant de vous conter cela, je vous demanderai d’abord si vous n’avez pas un petit morceau de quelque chose à me donner à manger. — Si, mon sergent, un petit morceau de biscuit ! » Aussitôt il ouvrit son sac et en tira un morceau de biscuit grand comme la main, qu’il me donna et que je dévorai de suite, car, depuis le 27 octobre, je n’avais pas mangé de pain[1]. En dévorant le biscuit, je lui dis : « Picart, vous avez de l’eau-de-vie ? — Non, mon pays. — Cependant il me semble que j’en sens l’odeur. — Vous avez raison, me répondit-il, car hier, lorsque l’on a pillé le caisson que vous voyez, il s’en trouvait une bouteille. Ils n’ont pu s’entendre pour la boire. Elle a été cassée et perdue. » Je lui témoignai le désir de savoir la place. Il me la montra ; alors je ramassai de la neige à l’eau-de-vie, comme j’avais fait du sang de cheval à la glace : « Pas si bête ! Dit Picart. Je n’y pensais pas. Dans ce cas, nous en trouverons de quoi nous mettre en ribote, car il paraît qu’il y en avait plusieurs bouteilles dans le caisson ! »

Le morceau de biscuit que j’avais mangé, ainsi que quelques pincées de neige à l’eau-de-vie, me firent beaucoup de bien. Alors je lui contai tout ce qui m’était arrivé, depuis la veille au soir. Picart m’écoutait et avait de la peine à me croire ; mais ce fut bien pire lorsque je lui fis un détail de la misère et de la situation de l’armée, de son régiment et de toute la Garde impériale en général. Ceux qui liront ce journal seront surpris de ce que Picart ne savait rien de tout cela : en voici la raison.

  1. Seulement un petit morceau que Grangier me donna à Smolensk le 10 novembre. (Note de l’auteur.)