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l’on dit lorsqu’on a peur. S’il avait pu deviner, il aurait vu que j’avais, pour le moins, aussi peur que lui. Il se mit sur les genoux pour me montrer qu’il avait un coup de sabre sur la figure. Je remarquai que, dans cette position, sa tête allait jusqu’à mon épaule, de sorte qu’il devait avoir plus de six pieds. Je lui fis signe de s’approcher du feu. Alors il me fit comprendre qu’il avait une autre blessure. C’était une balle qui lui était entrée dans le bas-ventre ; tant qu’à son coup de sabre, il était effrayant. Il lui prenait sur le haut de la tête, descendant le long de la figure jusqu’au menton, et allait se perdre dans la barbe, preuve certaine que celui qui le lui avait appliqué n’allait pas de main morte. Il se coucha sur le dos pour me montrer son coup de feu ; la balle avait traversé. Dans cette position, je m’assurai qu’il n’avait pas d’armes. Ensuite il se mit sur le côté sans plus rien dire. Je me mis en face pour l’observer. Je ne voulais plus m’endormir, car je voulais, avant le jour, exécuter mon projet de mettre le feu au caisson et de partir ensuite. Mais voilà que, tout à coup, une autre terreur me prend en pensant qu’il pouvait bien contenir de la poudre !

À peine ai-je fait cette réflexion, que, tout fatigué que je suis, je me lève et, ne faisant qu’un saut au-dessus du feu et du pauvre diable qui était devant moi, je me mis à courir à plus de vingt pas sur la gauche, mais, chopant à une cuirasse qui se trouvait sur mon passage, j’allai mesurer la terre de tout mon long. J’eus encore le bonheur, dans cette chute, de ne pas me blesser, car j’aurais pu rencontrer, en tombant, quelques débris d’armes, et il y en avait beaucoup d’éparses dans cet endroit ; j’ai pu m’en assurer lorsqu’il commença à faire jour. M’étant relevé, je me mis à marcher en reculant, et toujours les yeux fixés sur l’endroit que je venais d’abandonner, comme si vraiment j’avais été certain qu’il existât de la poudre dans le caisson et qu’il allât faire explosion. Peu à peu revenu de ma peur, je regagnai l’endroit que j’avais quitté sottement, car je n’étais pas plus en sûreté à vingt pas que contre le feu.

Je pris les morceaux de bois enflammés, je les portai avec précaution à l’endroit où j’étais tombé ; ensuite je pris la cuirasse à laquelle j’avais chopé, afin de m’en servir à