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avertiras. Elle est vêtue d’une capote grise de soldat : un bonnet de peau de mouton lui tient lieu de coiffure ; elle a des guêtres noires aux jambes et un panier au bras. »

Grangier, pensant que j’étais malade, et comme il me l’a dit depuis, que j’étais dans le délire, me prit par le bras, me fit descendre sur la route en me disant : « Marchons, nous aurons de la peine de rejoindre le régiment ». Cependant nous y arrivâmes après avoir dépassé des milliers d’hommes de toute arme qui se traînaient avec beaucoup de peine et qui nous faisaient prévoir que la journée serait mortelle, pour peu que la marche fût longue.

Elle le fut en effet : nous traversâmes un endroit dont je n’ai pu savoir le nom et où l’on disait que l’Empereur devait coucher (quoiqu’il l’eût dépassé depuis longtemps). Une quantité d’hommes de toute arme s’y arrêtèrent, car il était déjà tard, et l’on disait que l’on avait encore deux lieues à faire pour arriver à l’endroit désigné où l’on devait bivaquer, qui était une grande forêt.

La route, en cet endroit, est large et bordée, de chaque côté, de grands bouleaux[1]. Elle laissait aux hommes et aux équipages la facilité de marcher, mais, lorsque le soir arriva, l’on ne voyait, dans toute sa longueur, que des chevaux morts, et plus nous avancions, plus elle était couverte de voitures et de chevaux expirants, même des attelages entiers succombant aux fatigues, ainsi que des hommes qui, ne pouvant aller plus loin, s’arrêtaient, formaient leurs bivacs au pied des grands arbres, parce que, disaient-ils, ils avaient près d’eux ce qu’ils ne trouveraient pas ailleurs : du bois pour faire du feu, les voitures brisées leur en fourniraient, et de la viande avec les chevaux dont la route était encombrée et qui commençaient à embarrasser la marche.

Il y avait déjà longtemps que je marchais seul au milieu de la cohue et que je m’efforçais d’arriver à l’endroit où nous devions passer la nuit, afin de me reposer de cette marche pénible et qui le devenait encore davantage par le verglas qu’il faisait depuis qu’il recommençait à geler sur une

  1. Les bouleaux, ce sont des arbres qui, en Russie, viennent excessivement grands. (Note de l’auteur.)