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plus il devait y avoir de gloire et d’honneur. J’avais tout supporté avec une patience qui étonnait mes camarades. Mais, depuis les affaires sanglantes de Krasnoé, et surtout depuis que je venais d’apprendre que deux de mes amis, deux vélites, indépendamment de Beloque et de Capon que j’avais vus étendus morts sur la neige, avaient été l’un tué et l’autre mortellement blessé (sic). Pour compliquer mes peines, un traîneau vint à passer et, ne pouvant, pour le moment, aller plus loin, les hommes qui en étaient chargés s’arrêtèrent près de moi. Je leur demandai quel était le blessé qu’ils conduisaient. Ils me dirent que c’était un officier de leur régiment ; c’était le pauvre Legrand, qui me conta comment il avait été blessé : Laporte, son camarade, de Cassel, près de Lille, officier dans le même régiment que Legrand, était resté malade dans Krasnoé, mais, apprenant que le régiment dont il faisait partie se battait, et n’écoutant que son courage, il alla le rejoindre ; mais, à peine était-il dans les rangs, qu’un coup de canon lui brisa les jambes. Legrand qui, en voyant arriver Laporte, s’était avancé pour lui parler, fut atteint du même coup à la jambe droite.

Laporte resta mort sur le champ de bataille, et lui fut transporté à la ville ; on le mit dans une mauvaise voiture russe attelée d’un mauvais cheval, mais, le premier jour, la voiture se brisa et fort heureusement pour lui que, près de là, se trouvait un traîneau dont le cheval était tombé et lui servit, sans cela il aurait fallu le laisser sur la route. Il était accompagné par quatre hommes de son régiment ; il voyageait de cette manière depuis six jours. Je quittai le malheureux Legrand et, en lui pressant la main, je lui souhaitai un heureux voyage ; il me répondit qu’il comptait beaucoup sur la garde de Dieu et sur l’amitié des braves soldats qui l’accompagnaient. Alors un des soldats prit le cheval par la bride, un autre le frappa, et les deux autres poussèrent derrière. De cette manière, et avec beaucoup de peine, le traîneau se mit en mouvement ; en le voyant partir, je pensais qu’il n’irait pas loin, avec un pareil équipage.

Depuis ce moment, je n’étais plus le même : j’étais triste, des pressentiments sinistres vinrent m’assaillir ; ma tête devint brûlante ; je m’aperçus que j’avais la fièvre ; je ne