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voulais la prendre sous ma protection, elle aurait soin de moi, et que je lui rendrais un grand service. Je consentis de suite à ce qu’elle me demandait, sans penser à la figure que j’allais faire, lorsque j’arriverais au régiment avec ma femme.

Tout en marchant, elle me demanda où était mon sac ; je lui contai mon histoire, et comment je l’avais perdu ; elle me répondit que je n’avais pas besoin de m’inquiéter, qu’elle en avait un bien garni. Effectivement, elle avait un sac sur son dos et un panier au bras ; elle ajouta que, si je voulais entrer dans une maison ou dans une écurie, elle me ferait changer de linge. Je consentis de suite à cette proposition, mais, au moment où nous cherchions un endroit convenable, l’on cria Aux armes ! Et j’entendis battre le rappel. Je dis à ma femme de me suivre. Arrivé à peu de distance du régiment, que je trouvai sous les armes, je lui recommandai de m’attendre sur la route.

Arrivé à la compagnie, le sergent-major me demanda si j’avais eu des nouvelles de Labbé et de mon sac. Je lui dis que non et qu’il n’y fallait plus penser, mais qu’à la place, j’avais trouvé une femme : « Une femme ! me répondit-il, et pourquoi faire ? Ce n’est pas pour blanchir ton linge, tu n’en as plus ! — Elle m’en donnera ! — Ah ! me dit-il, c’est différent ; et à manger ? — Elle fera comme moi. »

Dans ce moment, l’on nous fit former le carré ; les grenadiers et les chasseurs, ainsi que les débris des régiments de Jeune Garde, en firent autant. Au même instant, l’Empereur passa avec le roi Murat et le prince Eugène. L’Empereur alla se placer au milieu des grenadiers et chasseurs, et là, il leur fit une allocution en rapport aux circonstances, en leur annonçant que les Russes nous attendaient au passage de la Bérézina, et qu’ils avaient juré que pas un de nous ne la repasserait. Alors, tirant son épée et élevant la voix, il s’écria : « Jurons aussi, à notre tour, plutôt mourir les armes à la main en combattant, que ne pas revoir la France ! » Et, aussitôt, le serment de mourir fut juré. Au même instant, l’on vit les bonnets à poil et les chapeaux au bout des fusils et des sabres, et le cri de : « Vive l’Empereur ! » se fit entendre. De notre côté, c’était le maréchal Mortier qui nous faisait un discours semblable, et auquel l’on répondit