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tous les sous-officiers, nous étions réunis, causant de nos misères et du combat de la nuit précédente, l’adjudant-major Delaitre, l’homme le plus méchant et le plus cruel que j’aie jamais connu, faisant le mal pour le plaisir de le faire, vint se mêler à notre conversation et, chose étonnante, commença par s’apitoyer sur la fin tragique de Beloque dont nous déplorions la perte : « Pauvre Beloque ! disait-il, je regrette beaucoup de lui avoir fait de la peine ! » Une voix, je n’ai jamais pu savoir qui, vint me dire à l’oreille, assez haut pour être entendu de plusieurs : « Il va bientôt mourir ! » Il semblait regretter le mal qu’il avait fait à tous ceux qui étaient sous ses ordres et principalement à nous, les sous-officiers ; il n’y en avait pas un dans le régiment qui n’eût voulu le voir enlever d’un coup de boulet, et il n’avait pas d’autre nom que Pierre le Cruel.

Le 17 au matin, à peine s’il faisait jour, que nous prîmes les armes et, après nous être formés en colonnes serrées par division, nous nous mîmes en marche pour aller prendre position sur le bord de la route, du côté opposé au champ de bataille que nous venions de quitter.

En arrivant, nous aperçûmes une partie de l’armée russe devant nous, sur une éminence, et adossée à un bois. Aussitôt, nous nous déployâmes en ligne pour leur faire face. Nous avions notre gauche appuyée contre un ravin qui traversait la route et à qui nous tournions le dos ; ce chemin, qui était creux et dominé par les côtés, pouvait abriter et garantir du feu de l’ennemi ceux qui y étaient. Notre droite était formée par les fusiliers-chasseurs, ayant la tête de leur régiment à une portée de fusil de la ville. Devant nous, à deux cent cinquante pas, était un régiment de la Jeune Garde, premier voltigeur, en colonne serrée par division, commandé par le colonel Luron. Plus loin en avant, et sur notre droite, étaient les vieux grenadiers et chasseurs, dans le même ordre, c’est-à-dire, ainsi que le reste de la Garde impériale, cavalerie et artillerie, qui n’avaient pas pris part au combat de la nuit du 15 au 16. Le tout était commandé par l’Empereur en personne, qui était à pied. S’avançant d’un pas ferme, comme au jour d’une grande parade, il alla se placer au milieu du champ de bataille, en face des batteries de l’ennemi.