Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pièges, c’est-à-dire que, sur l’emplacement des maisons bâties en bois, où aucune trace ne se faisait plus voir, on rencontrait les caves recouvertes de neige, et le soldat assez malheureux pour s’y engager, disparaissait tout à coup pour ne plus reparaître. Plusieurs périrent de cette manière, que d’autres retirèrent le lendemain, lorsqu’il fit jour, non pour leur donner la sépulture, mais pour avoir leurs vêtements ou quelque autre chose qu’ils auraient pu avoir sur eux. Il en était de même de tous ceux qui succombaient, en marchant ou arrêtés : les vivants se partageaient les dépouilles des morts, et souvent, à leur tour, succombaient quelques heures après et finissaient par subir le même sort.

Une heure après notre arrivée, l’on nous fit une petite distribution de farine, et la valeur d’une once de biscuit : c’est plus que l’on ne pouvait espérer. Ceux qui avaient des marmites firent de la bouillie, les autres firent des galettes qu’ils faisaient cuire dans la cendre et que l’on dévora à moitié cuites ; l’avidité avec laquelle ils mangèrent, faillit leur être funeste, car plusieurs furent dangereusement malades et manquèrent étouffer. Tant qu’à moi, quoique je n’avais pas mangé de soupe depuis le 1er novembre et que la bouillie de farine de seigle fut épaisse comme de la boue, je fus assez heureux pour ne pas être incommodé ; mon estomac était encore bon.

Depuis le moment où nous étions arrivés, plusieurs hommes du régiment, qui étaient malades et qui avaient pu, en faisant des efforts extraordinaires, arriver à l’endroit où nous étions, venaient de mourir, et, comme on leur avait donné les meilleures places dans les mauvaises masures que l’on nous avait désignées pour logements, l’on s’empressa de les porter loin, afin de prendre leur place.

Après que je fus reposé, malgré le froid et la neige qui tombait, je me disposai à chercher après un de mes amis, celui avec qui j’étais le plus intimement lié, celui avec qui je n’avais jamais compté ; nos bourses ne faisaient qu’une. Il se nommait Grangier[1]. Il y avait sept ans que nous étions ensemble. Je ne l’avais pas vu depuis Viasma, où il était

  1. Sergent vélite dans le même régiment que moi, aux fusiliers-grenadiers. (Note de l’auteur.)