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me voici devant son hôtel. Ce serait cependant commode pour s’y donner des rendez-vous, cette caserne-là. Tant de monde y va et vient, qu’une femme peut entrer dix fois sans être remarquée… »

L’hôtel des Palmes — ce nom biblique, justifié par un jardin oriental, flamboyait sur la façade — érigeait au tournant du chemin sa masse grise, prétentieusement décorée de gigantesques sculptures. Des cariatides colossales y soutenaient des balcons, des colonnes cannelées y supportaient des terrasses à balustres. Pierre Hautefeuille occupait une modeste chambre dans ce caravansérail, indiqué par son docteur. Si ç’avait été un paradoxe, la veille, que sa rêverie sentimentale sur le divan du Casino de Monte-Carlo, sa présence dans cette banale cellule de cette immense ruche cosmopolite en était un autre, et quotidien. Il y vivait aussi retiré, aussi absorbé, aussi enveloppé par l’atmosphère de ses songes que s’il n’eût pas eu grouillante, à côté de lui, sous ses pieds et sur sa tête, toute une colonie des agités et des agitées dont le Carnaval peuple la côte. Encore ce matin, l’indulgente moquerie de Corancez eût trouvé de quoi s’exercer à loisir, si les lourdes pierres de la bâtisse fussent magiquement devenues transparentes, et si l’entreprenant Méridional eût vu son camarade accoudé sur sa table à écrire et comme hypnotisé par la contemplation de la boite d’or achetée la veille au soir. Et cette moquerie se fut changée en une véritable stupeur s’il avait suivi l’écheveau