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qui s’offrit à moi : une vengeance raffinée, atroce et sûre. Mon existence et celle de Du Prat étaient bien séparées, certes. Il m’avait très probablement oubliée. Pourtant, je ne doutai pas une minute que si je me faisais aimer de son ami, et s’il le savait, je le percerais à l’endroit le plus sensible et le plus intime de son cœur. Et voilà pourquoi j’ai accepté que l’on me présentât Hautefeuille, pourquoi j’ai eu avec lui les coquetteries que tu me reproches. Car, je l’avoue, j’ai commencé par être coquette… Dieu ! comme c’est près ! … Et comme c’est loin ! … »

— « Mais Pierre Hautefeuille, » interrompit Mme Brion, « sait-il tes relations avec Olivier ? »

— « Ah ! » dit Mme de Carlsberg, « tu touches à la place la plus malade. Il les ignore, comme il ignore tout des réalités basses de la vie. C’est par cette fraîcheur de nature, par cette simplicitéde cœur dont l’autre m’avait tant parlé, par cette jeunesse enfin, que cet enfant, avec lequel je me préparais à jouer un jeu trop cruel, m’a prise tout entière… Tu ne peux pas comprendre cela, toi qui as toujours senti comme tu devais sentir, ce que c’est que d’avoir étouffé en soi l’être bon, confiant, enthousiaste, et que, tout d’un coup, cet être se réveille ! … On a cru que l’on n’aimerait plus jamais. On s’est crue, on s’est voulue sèche, implacable, mauvaise ; et puis, c’est un miracle de résurrection, au contact d’un cœur si jeune, si vrai, si simple, que le tromper, ce serait tromper un enfant. Si tu le connaissais comme je le