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trouvait pour répondre à ce douloureux aveu que ces mots dont le reproche était à lui seul la preuve d’une tendresse indulgente jusqu’à la complicité :

— « Dieu juste ! comme tu as dû souffrir ! Mais pourquoi ne m’as-tu pas parlé plus tôt comme tu me parles maintenant ? Pourquoi n’as-tu pas eu confiance en moi ? As-tu cru que je t’aimerais moins ? … Vois, j’ai le courage de tout entendre… » Et elle ajouta, d’un accent où palpitait cette soif de tout savoir qui nous saisit devant les pires fautes de ceux que nous chérissons, comme si nous espérions trouver dans ce cruel détail de quoi mieux leur pardonner : « Je t’en conjure. Dis-moi tout, tout… Et d’abord, cet homme ? Je le connais ? … »

— « Non, » répondit Mme de Carlsberg. « Il s’appelait Olivier Du Prat. Je l’ai rencontré à Rome, il y a deux ans, lorsque j’y ai passé tout l’hiver. C’est l’époque de ma vie où tu m’as le moins vue, où je t’ai le moins écrit. C’est aussi l’époque où j’ai été le plus mauvaise, par solitude, par inaction, par tristesse, par dégoût de tout et de moi-même. Ce garçon était secrétaire à l’une des ambassades de France. Il était très à la mode, parce qu’il avait inspiré une passion à deux dames de la société Romaine qui se le disputaient presque ouvertement… C’est très vilain, ce que je vais te dire, mais c’est ainsi : cela m’amusa de le prendre à toutes deux. Dans ces sortes d’aventures, c’est comme tout à l’heure au jeu : on s’imagine qu’on trouvera des émotions là où les autres en trouvent. Et