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une sorte d’emportement, elle prit le bras de son amie, et, la regardant bien en face : « Écoute, » fit-elle, « tu crois que je suis toujours ce que tu es restée, ce que j’étais autrefois, ton irréprochable Ely, comme tu dis… Eh bien ! ce n’est pas vrai… J’ai eu un amant. Tais-toi, ne me réponds pas. Il fallait que cela fût dit. C’est dit… Et cet amant, c’est l’ami le plus intime de Pierre Hautefeuille, un ami comme tu es mon amie, un frère d’amitié comme tu es ma sœur… Ce poids que tu as deviné que j’avais ici, » et elle se frappa le sein, « le voilà. Il est horrible à porter… »

Certains aveux entraînent avec eux tant d’irrémédiable que leur franchise donne à ceux qui les font et qui n’y sont pas contraints quelque chose d’auguste, même dans la déchéance ; et quand ces aveux nous viennent de quelqu’un que nous aimons comme Louise aimait Ely, c’est en nous un délire de tendresse pour cet être qui nous prouve sa noblesse par sa confession, en même temps que l’évidence de sa flétrissure nous perce l’âme. Si, quelques heures auparavant, dans un des salons de Monte-Carlo, un des innombrables viveurs en train d’errer autour des tables eût répété la plus vague phrase de doute sur l’honneur de Mme de Carlsberg et que Mme Brion eût entendu cette phrase, quelle indignation n’eût pas été la sienne et quelle douleur ! La douleur y était encore, et déchirante, tandis qu’Ely prononçait les mots impossibles à oublier ; d’indignation, il n’y avait plus trace dans ce cœur, et elle ne