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recouvré sa liberté presque entière, sans divorce ni séparation légale, avec quelle, rancune de son mari, on le devine ! En fait, c’était depuis quatre ans le premier hiver qu’elle passait auprès de l’archiduc, malade et retiré dans sa villa de Cannes, — étrange endroit, véritablement disposé à l’image de son étrange maître : la moitié de la maison était un palais, l’autre un laboratoire ! — Mme Brion avait assisté de loin à ce drame conjugal, puis à ce demi-affranchissement dont elle n’avait pas suivi l’exemple. La douce créature s’était laissé, sans rien dure, brutaliser et briser par le négrier de finance, à la dure poigne, dont elle portait le nom. Ce contraste même lui avait rendu son amie plus chère. Ely de Carlsberg avait été sa rébellion, son indépendance, son roman, — un roman dont elle ne savait pas tous les chapitres. Les confidences de deux amies qui ne se voient qu’à intervalles sont toujours un peu arrangées. D’instinct, l’amie qui se confesse à son amie s’abstient de toucher à l’image que l’autre se fait d’elle, et cette image finit de la sorte par beaucoup plus ressembler à son passé qu’à son présent. Aussi la baronne avait-elle caché à sa confidente tout un côté de sa vie. Belle comme elle était, riche, libre, audacieuse et sans principes, elle avait cherché l’oubli et la vengeance de ses misères de ménage là où toutes les femmes qui ont du tempérament et pas de foi religieuse cherchent de pareils oublis et de pareilles vengeances. Elle avait eu d’abord des coquetteries, puis des légèretés,