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première fois sous les arbres du jardin conventuel dont les verdures égaient au printemps le triste boulevard des Invalides. Elles n’avaient jamais cessé de s’écrire, et, chacune ayant pu suivre les chagrins de sa propre destinée dans la destinée de l’autre, leur affection s’était resserrée de toute cette identité de mélancolie, de leurs confidences, de leurs silences mêmes. La dureté du financier, son âpre égoïsme dissimulé sous les manières étudiées d’un faux homme du monde, sa brutale sensualité, avaient permis à Louise de comprendre, de plaindre, de partager les meurtrissures d’âme de la pauvre Ely, abandonnée en proie au despotisme jaloux d’un maître cruellement inégal, quinteux, chez lequel le nihilisme intellectuel d’un anarchiste se trouvait associé à l’orgueil impérieux d’une nature de tyran. De son côté, la baronne avait pu mesurer à la profondeur de ses propres blessures les plaies dont saignait le cœur tendre de son amie. Seulement elle, la fille d’un soldat, la descendante de ces héros de la Tchernagora qui ne se sont jamais rendus, elle ne s’était pas soumise comme l’héritière d’une lignée dévote, la petite-fille des vertueux Rodier et des prudents Vimal. Ely avait aussitôt dressé orgueil contre orgueil, volonté contre volonté. Des scènes atroces, qu’elle avait subies sans y sombrer, auraient abouti à la plus éclatante rupture, si la jeune femme n’avait eu l’idée d’en appeler en très haut lieu. Une influence souveraine avait imposé un compromis qui sauvait les apparences. La baronne avait