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une si évidente impassibilité, qu’elle était tout naturellement devenue l’âme de cette partie, et les commentaires allaient leur train, mais elle ne semblait pas plus les entendre qu’elle ne paraissait s’intéresser aux allées et venues de la bille dans les cases de la roulette.

— « Je vous affirme que c’est une archiduchesse, » disait l’un.

— « C’est une princesse Russe, » répondait un autre : « il n’y a qu’une Russe pour jouer ce jeu-là. »

— « Son numéro est sorti trois fois en plein tout à l’heure ; qu’il sorte encore, et la banque saute. »

— « Mais non, elle ne peut pas gagner à ce jeu-là… C’est la couleur qui la sauve. »

— « Moi, je crois à sa veine. Je rejoue son numéro. »

— « Moi, je joue contre elle. Elle est en perte maintenant. »

— « Les mains… » disait Corancez en se penchant à l’oreille d’Hautefeuille, « regarde les mains : même sous les gants, de vraies mains, de grande dame et de fantaisiste. Vois les autres à côté, les allées et venues de ces pattes avides et nerveuses. Toutes sont plébéiennes, quand on a regardé ses doigts… Mais on dirait que nous lui portons la guigne. Rouge et 7… Elle a perdu… Rouge et 10… Perdu encore… Rouge et 9… Perdu toujours… Rouge et 27… Elle en est pour vingt-cinq mille francs ! Si le mot n’était pas vulgaire