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hémorragie provoquée par cette blessure et par cette marche.

Où vont les morts, nos morts ? Ceux qui nous ont aimés et que nous avons aimés, ceux envers qui nous avons été tendres, secourables, bons, — et ceux envers qui nous avons commis d’inexpiables fautes, ceux qui sont partis sans que nous sachions s’ils nous ont pardonné ? Sont-ils à jamais séparés de nous ? Ou bien revivent-ils autour de nous, d’une vie qui échappe à nos sens infirmes, de cette vie confuse, mystérieuse et redoutable que la piété antique attribuait aux Mânes ? Y a-t-il des morts indulgents et protecteurs auprès de notre faiblesse ? Des morts irrités et vengeurs qui ne nous permettent plus jamais d’être heureux ? Entre ce monde-ci et l’autre, nous ne pouvons ni comprendre qu’il y ait un lien, ni admettre une définitive rupture. Que cette présence des morts, invisible autour de notre vie terrestre, soit un rêve ou une réalité, il est certain que jamais, depuis cette nuit terrible, Ely n’a pu revoir Pierre, ni lui écrire. Toujours, quand elle a voulu prendre la plume pour se rapprocher de lui encore une fois, quelque chose l’en a empêchée ; et quelque chose a toujours arrêté Pierre, quand il a voulu lui donner seulement un signe de son existence. Un mort est entre ces deux vivants, qui, jamais, ne s’en ira.

Cannes, avril 1895. — Hyères, février 1896