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brutalement, et répéta : « Laissez-moi aller, laissez-moi aller, » sans un regard, sans un mot d’adieu. Il était déja au bas de l’escalier, dans la serre, dans le jardin, qu’elle n’avait pas trouvé la force de bouger. Elle restait appuyée au mur contre lequel il l’avait poussée, la tête penchée, écoutant avec une angoisse qui touchait à la folie… Mais aucune détonation nouvelle ne retentit. Pierre n’avait rencontré ni le prince ni ses hommes, occupés à chercher la trace du premier fugitif.

— « Ah ! » gémit-elle, « il est sauvé ! … Pourvu que l’autre le soit aussi ! … »

Comme on voit, la terreur de Pierre l’avait gagnée. Oui, l’inconnu sur lequel on avait tiré pouvait bien être Olivier. Elle n’avait pu se méprendre à l’accent du prince. Il ne s’agissait pas d’un voleur. Son mari avait su qu’elle recevait un amant. Il avait tendu un piège. Qui donc s’y était pris au lieu de Pierre ? Pour la première fois depuis des années, cette femme si libre d’esprit, si pénétrée de fatalisme et de nihilisme, eut un élan vers un secours d’en haut. Son épouvante de ce qu’elle entrevoyait, si réellement elle et Pierre avaient causé l’assassinat de cet homme dont elle avait été la maîtresse, dont il était, lui, l’unique ami, — la bouleversait d’une telle façon qu’elle tomba sur les genoux, et elle pria pour que ce châtiment leur fût épargné à tous les trois… Vaine prière, aussi vaine que la course folle de son complice qui se précipitait le long de la route, s’arrêtant par places pour crier : « Olivier ! … »